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assez juste que la Turquie subît les conséquences de sa défaite, et ne voyaient pas d’inconvénient à ce qu’un autre Etat, qui ne leur portait pas ombrage, recueillît en partie les bénéfices de la lutte. D’un autre côté, la Grèce venait de leur marquer de la déférence en retirant ses troupes de la Thessalie : ses instances permanentes les avaient peu à peu accoutumées à l’idée d’une combinaison favorable à ses intérêts et d’une répartition plus équitable des élémens ethnographiques sur ses frontières. Le royaume représentait dans ces contrées le plus important des groupes chrétiens et les principes majeurs de la civilisation occidentale : son souverain était justement entouré de l’affectueuse estime des grandes Cours, tant par ses mérites personnels que par ses alliances de famille : on avait l’expérience des troubles intérieurs et extérieurs que l’exiguïté du territoire grec avait suscités depuis cinquante ans ; enfin, au moment où l’on allait exiger du Tsar victorieux une sensible atténuation du traité qu’il avait conclu, on jugeait opportun de témoigner quelque sympathie à un pays orthodoxe dont la Russie avait toujours envisagé la cause avec sollicitude.

Indépendamment de ces impressions d’ordre général, chacun des Cabinets avait des raisons spéciales pour admettre volontiers qu’une satisfaction fût concédée à la Grèce. A Paris et à Londres, les souvenirs historiques, les traditions artistiques et littéraires, la pensée politique triomphante à Navarin, s’accordaient avec le système récent de l’émancipation progressive des races chrétiennes pour conseiller une intervention nouvelle. L’Italie ne pouvait refuser son concours à un peuple qui demandait des avantages qu’elle-même avait si longtemps sollicités, et dont les vues, d’ailleurs, n’inquiétaient pas ses ambitions. La Russie devait se féliciter d’un accroissement de la Grèce comme d’une approbation de sa politique séculaire. Le prince de Bismarck était ostensiblement malveillant pour la Turquie : en choisissant pour la représenter au Congrès le muchir Méhémet-Ali, renégat prussien, la Porte, — il me l’a dit lui-même, — avait inconsciemment froissé son patriotisme : en dehors de cette répugnance secondaire, il savait que le commerce germanique cherchait à étendre dans le royaume grec ses relations industrielles, qu’un courant d’idées bienveillantes à la Grèce s’était développé dans l’Allemagne lettrée et savante à la suite des fouilles d’Olympie ; en outre, il ne lui déplaisait pas que l’assemblée présidée par lui fût, dans