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par « M. Alcofribas Nasier, abstracteur de Quinte Essence[1]. »

Sur ces entrefaites, un des amis de la jeunesse de Rabelais, Jean du Bellay, évêque de Paris — l’un de ces quatre frères qui occupent dans l’histoire politique et militaire du règne de François Ier une si grande place, — traversant Lyon pour se rendre à Rome, et sans doute ne soupçonnant pas l’auteur du Pantagruel sous la robe du moine, se l’attachait, en qualité de médecin de sa maison et l’emmenait en Italie. La vie de Rabelais, à dater de ce moment, nous est un peu mieux connue, et, pendant sept ans, de 1533 jusqu’en 1540, nous pouvons le suivre d’assez près. Il est à Rome, au commencement de 1534, où, pour ses débuts, il s’occupe d’archéologie, de botanique, et aussi, notons soigneusement ce trait, de régulariser sa situation canonique. Nous le retrouvons à Lyon au mois de septembre de la même année, où il publie la Topographia Antiquæ Romæ de Jean Marliani, et presque en même temps la première édition de son Gargantua. La promotion de l’évêque de Paris au cardinalat le ramène à Rome en 1535, où son séjour, — nous l’apprenons par ses lettres à Geoffroy d’Estissac, — se prolonge jusqu’au milieu de 1536. Rien de plus sérieux que ces lettres à l’évêque de Maillezais, ni de moins propre à nous faire croire que « le rire est le propre de l’homme. » Aussi est-ce au cours de ce second séjour que Rabelais obtient, du pape Paul III, l’absolution pleine et entière de ses erreurs passées, avec l’autorisation d’exercer librement la médecine, citra adustionem et incisionem, pietatis intuitu ac sine spe lucri vel questus. Il est à Paris au commencement de 1537, et vers

  1. On a discuté, et on discute encore, à ce propos, sur le point de savoir si c’est le Gargantua qui a précédé le Pantagruel (j’entends le premier livre) ou au contraire, si, comme nous le croyons, c’est le premier livre de Pantagruel qui a précédé Gargantua. Sans avoir ici besoin de peser les raisons des uns et des autres, la question nous paraît tranchée par un texte authentique. C’est celui que l’on trouve dans une lettre de Calvin à ses amis d’Orléans, datée du mois d’octobre 1533. Dans cette lettre fort intéressante, Calvin rend compte à ses amis de ce qui s’est passé en Sorbonne à l’occasion du livre de la reine de Navarre : Le Miroir de l’Ame pécheresse, que la Faculté de théologie avait fait mine de vouloir condamner. Mais François Ier n’ayant pas caché son irritation d’un traitement qui sans doute ne lui paraissait pas fait pour les Reines, il avait fallu venir à résipiscence ; et le curé de Saint-André, Nicolas Le Clerc, docteur de Sorbonne, avait dû expliquer que le Miroir de l’âme Pécheresse était à l’abri de toute censure. « La Sorbonne, disait-il, n’avait prétendu condamner que quelques livres obscènes, de l’espèce du Pantagruel ou du Bosquet d’amour. » Ce texte nous paraît décisif, et suffit lui tout seul à prouver que le Gargantua de Rabelais n’existait pas encore en 1533. (Voyez d’autres argumens dans Brunet : Recherches sur les Éditions originales de Rabelais, Paris, 1852 ; Potier ; et dans Marty-Laveaux, les Œuvres de maître François Rabelais, t. IV, p. 15-21 ; Paris, 1881, Lemerre.)