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visage blanc au milieu des coolies de mon convoi. C’est un contrôleur des lignes télégraphiques chargé de réparer les fils. C’était le type du bon ouvrier de France : sa petite case de bambou était élevée du matin, et le lendemain il sera peut-être plus loin. Il faisait quelque 35 degrés de chaleur à l’ombre. Ce bon contrôleur m’offre « de boire un verre. » Je crois tout au moins devoir répondre à la gracieuseté de mon interlocuteur en m’arrêtant quelques minutes chez lui. Touché de mon attention, il m’offre alors du Champagne, que je refuse ; et, dans un coin de la case, j’aperçois toute une armée de bouteilles aux étiquettes les plus variées. Le Français, quelque situation qu’il occupe, ne se passe jamais de vin aux colonies. Il se croit même obligé d’avoir en réserve un assortiment de réconfortans et de liqueurs qu’il n’aurait peut être jamais possédé dans la mère patrie. La moindre bouteille de bière revient à des prix extraordinaires, car il a fallu la faire apporter dans l’intérieur du pays à des de coolie, et la traîner derrière soi dans la forêt. Ce qui coûte cher aux colonies est toujours ce que l’on fait venir. Si l’on consentait à vivre des viandes du pays, des légumes qu’il est possible de faire pousser presque partout dans le Laos et le haut Tonkin, au moins pendant une saison, la vie serait à bon marché. C’est ce que font les Anglais dans leurs colonies, même les hauts fonctionnaires, lorsqu’ils sont dans les postes éloignés. Chez le political offîcer de Xieng-Tung, le second fonctionnaire des États Shans, il n’y avait pas de vin, à quarante étapes de la voie ferrée !

J’allais arriver à Aï-Lao, le grand pénitencier d’Annam, lorsque, à la grande Tchépone, que l’on traverse en bac, je rencontre quatre soldats annamites et un caporal, envoyés à ma rencontre, pour me servir d’escorte. Ils me remettent l’ordre qu’ils ont reçu de m’accompagner. Ils sont gentils, ces petits Annamites d’Annam, trottant à la file indienne. Ils se rapprochent plus que les Cochinchinois du type chinois. Ils ont les yeux bridés, les poils de la moustache et de la barbiche longs et rares. Ils sont vêtus de kaki, cette bonne cotonnade dont le nom hindoustani signifie « couleur du sol. » Ils portent la culotte longue et large, à peine fendue jusqu’aux genoux, la blouse prise dans la ceinture, et, sur la tête, le salacco. C’est une espèce de couvercle plat, fait en bambou tacheté et recouvert d’étoffe, avec une petite plaque de cuivre au sommet. Ils portent la cartouchière en arrière, le fusil pendu à l’épaule droite et l’éventail en main.