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se pressent nombreux aux étapes ; et nous n’avons, chose rare, que la peine de choisir les meilleurs d’entre eux. Cette vigoureuse race, qui n’a pas un courage à la hauteur de son développement physique, tranche à côté des petits Annamites de notre escorte. Ceux-ci me paraissent avoir la taille d’enfans de quatorze ans. Les Khas n’ont, presque tous, que le minimum de pagne, et ceux qui portent la grande écharpe passée entre les jambes et tournée autour de la ceinture la relèvent aux côtés pour ne pas gêner leur marche.

Mon petit satou a des façons de gentilhomme ; il ne me parle jamais sans me saluer à plusieurs reprises, la tête entre les jambes. Son vocabulaire ne comporte qu’une quinzaine de mots français, auxquels je ne puis guère ajouter que deux termes laotiens : taï et vaï, qui veulent dire « vite » et « marchons. » Mais je ne puis m’empêcher de rire de bon cœur lorsqu’il vient me prévenir, avec des airs de cour et des obséquiosités raffinées, que « cheval ou cooly f... la camp. » Cela se dit beaucoup dans nos colonies avec cette variante que « le camp » est généralement du féminin dans ces pays ; « la camp » est une forme très correcte.

Mon prince, comme tout Oriental en voie de progrès, s’empresse d’adopter notre costume européen étriqué et étroit ; mais, de même aussi, il le quitte voluptueusement pour reprendre les amples draperies. Il est parti de Luang-Prabang en souliers de toile blanche, jambières foncées, culottes blanches, veste noire et grand feutre Pavie. Au camp, et pour venir dîner avec moi, il reprend le sampot, la jolie écharpe culottante, en soie de couleur prune, les grands bas noirs, la veste noire et le béret de soie grenat très retombant. Les rois et les princes, au Laos comme au Siam, ont un art particulier pour bien porter le sampot.

Dans les villages, les chefs et les notables viennent au-devant de nous, et nous accompagnent, au départ, marchant devant nous en long monôme. Au moment de la séparation comme à l’arrivée, ils s’alignent, et le prince amène son cheval en face d’eux. Je dois me placer près de lui, et notre escorte d’honneur se prosterne avant de nous quitter.

La route de Luang-Prabang à Vien-Tiane m’avait été comptée comme ayant 289 kilomètres et demandant douze jours de marche. Nous la ferons en moins de dix jours, et, après les sentiers Shans, nous la trouverons très supérieure à sa réputation. Il faudrait peu de dépenses pour en faire un bon chemin de caravane, une route