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jours la même, qui tiendrait le globe des heures, nous dirions qu’au XVIIe siècle, elle l’avait posé sur sa tête ; qu’au XVIIIe siècle, elle le tenait à la hauteur des seins ; et qu’au XIXe siècle, elle l’a laissé glisser à ses pieds. Pour s’en convaincre, il suffit d’aller visiter la suite des chambres de tous les styles du siècle, restituées à la Centennale de la Décoration et du Mobilier aux Invalides. — Ces chambres sont difficiles à découvrir, mais plus difficiles encore à quitter. Désertes d’habitans, pleines de pensées, elles reproduisent, dans leur désordre non seulement les meubles, témoins des générations précédentes, mais encore les âmes surannées, éparses comme sous les lunettes de ce conventionnel ou dans les feuillets de ce cahier de musique copié par J.-J. Rousseau. Eh bien ! regardez les pendules et voyez la place qu’y occupe le cadran. Dans la chambre Louis XVI, il est tout au haut de la colonne, d’où un Amour le découvre, comme un photographe fait son objectif. A l’autre bout du siècle, à la chambre Second Empire, le cadran est tombé tout au bas des Amours jouant avec un coq.

Ce n’est pas qu’une place plus ou moins élevée pour l’objet à décorer soit nécessaire, mais il est nécessaire que les lignes de la décoration se rattachent à cet objet. Or, plus le cadran est haut placé, mieux elles s’y rattachent, et, quand il est au bas, elles ne s’y rattachent pas du tout. Ni le groupe des Trois Grâces ne serait complet, ni le geste de l’une d’elles ne serait explicable, s’il n’y avait pas, au milieu et au-dessus d’elles, l’urne des heures. Mais, au contraire, le cadran qui est à leurs pieds, chez M. Bonassieux[1], n’ajoute rien à un groupe parfait sans lui. Rien n’assigne à l’objet décoré telle place plutôt que telle autre, mais, quelque part qu’il se trouve, il le faut si nécessaire à l’architecture que sa disparition fasse crouler tout le reste. Il faut que le cadran soit placé dans l’horloge comme la légende dit que le portrait de Phidias était placé sur le bouclier de Pallas Athéné, reliant toutes les armatures de la statue, de sorte que, si quelque envieux l’avait voulu supprimer, il détruisît la déesse tout entière. On a imaginé une fois de mettre un cadran à la retombée des nervures d’une voûte ogivale, à Saint-Nizier de Lyon : c’est presque un symbole de l’art décoratif : l’objet doit être la clé de toute la décoration. Regardez le régulateur de Caffieri, et supprimez par

  1. Les Heures, groupe exécuté en 1853, pour l’horloge de la Bourse de Lyon. Centennale du meuble, au Grand Palais.