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y avoir beaux jours aussi qu’il s’est fondé dans le parlement des comités de vigilance pour surveiller la façon dont le Président exerce la seule prérogative que lui eût jusque alors laissée la perte effective du droit de renvoyer son cabinet : celle, tout au moins, de le choisir. De celle-là comme de l’autre, c’en est fait, quoi que dise la parole menteuse ; déjà les meneurs de certains groupes parlementaires se vantent de lui donner tout fabriqués de leur main ses ministères, si bien que le parlement les lui impose, le parlement les lui abat comme un jeu de quilles ou les visse au pouvoir contre vents et marées ; il n’a, lui, au spectacle, que son fauteuil doré.

Voilà le Président de la République annihilé et supprimé de fait. Réduit à la représentation pure, à la pompe et à l’ostentation, à ce que l’on nomme dans l’école « les fonctions de majesté, » si, comme c’est le droit du chef d’une démocratie, il n’est de son naturel et par ses goûts ni fastueux ni majestueux, le voilà donc réduit à rien ; et il ne lui reste plus que ses yeux pour pleurer. Mais voilà du même coup le parlementarisme français rejeté très loin du vrai régime parlementaire, parce que le vrai régime parlementaire est originairement et essentiellement un régime d’équilibre, et que, comme le parlementarisme prussien rompt cet équilibre en supprimant la responsabilité des ministres devant le parlement, il le rompt, lui, en supprimant leur responsabilité devant le chef de l’Etat. En Angleterre, la reine délègue le pouvoir ; en Prusse, le roi le retient ; en France, le Président le lâche. En Angleterre, la reine règne et ne gouverne pas ; en Prusse, le roi règne et gouverne ; en France, le Président ne règne ni ne gouverne.

Ainsi, sur deux applications à la politique continentale du système anglais de gouvernement, les deux ne sont que des déformations et des corruptions de ce système, quoique les causes en soient opposées et les conséquences inégales. S’il fallait chercher les raisons de cet échec, que l’on perdrait son temps et sa peine à vouloir dissimuler, on ne tarderait pas à voir qu’elles peuvent toutes s’exprimer en une formule unique : qui est que le système anglais de gouvernement, transporté hors de l’Angleterre, s’y est trouvé exporté de son milieu, déporté hors de ses conditions et de ses circonstances. Faisant effort pour s’accommoder à ces milieux différens, à ces nouvelles conditions et à ces circonstances nouvelles, il a subi en Prusse une déviation prussienne,