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Comme le Monsieur Thadée et les Aïeux de Mickiewicz, comme toutes les œuvres des poètes, les romans de M. Sienkiewicz sont intraduisibles.

Je vais essayer cependant de traduire, et avec le plus d’exactitude possible, un des épisodes des Chevaliers de la Croix : car, mieux que toutes les définitions et que tous les commentaires, cette courte citation pourra faire voir en quoi consiste, non pas à coup sûr la beauté poétique, mais l’originalité du roman. Elle fera comprendre, surtout, l’extrême intérêt qu’offre aux compatriotes de M. Sienkiewicz une œuvre qui n’est en quelque sorte que l’évocation vivante et pittoresque du passé de leur race, leur représentant sous un jour nouveau des hommes et des choses qu’ils connaissent déjà.

Le jeune Zbyszko a rencontré, dans une auberge où il s’était arrêté, une jeune fille si belle, qu’aussitôt il s’est mis à l’aimer. Cette jeune fille s’appelle Danusia, elle est suivante de la princesse Danuta ; et Zbyszko apprend en outre que sa mère, femme du célèbre Jurand de Spychow, est morte des mauvais traitemens que lui ont fait subir des chevaliers de l’Ordre Teutonique. Aussi le bouillant jeune homme jure-t-il de provoquer et de tuer tous les chevaliers de cet ordre qu’il rencontrera sur sa route ; et comme, peu de temps après, il en rencontre un, il s’empresse de courir à lui pour le provoquer. Mais ce chevalier se trouve être un envoyé de l’Ordre à la cour de Pologne, le baron Kuno de Lichtenstein. À ce titre, sa personne est sacrée. Et en vain la princesse Anne, en vain les chevaliers polonais qui accompagnent Lichtenstein demandent-ils à celui-ci d’oublier l’injure qu’il a reçue de Zbyszko. L’Allemand exige que son agresseur descende de cheval et, tête nue, implore son pardon. Puis, sur le refus du jeune homme, il déclare qu’il portera plainte devant le roi Ladislas. Et c’est à la cour de Cracovie que nous retrouvons maintenant Zbyszko et Lichtenstein, assistant tous deux au repas du Roi, Lichtenstein en qualité de convive, Zbyszko en qualité de serviteur de la princesse Anne Danuta.


L’appel des cors annonça que le repas était prêt ; et la princesse Anne, prenant Danusia par la main, se dirigea vers les appartemens royaux, où les dignitaires et les chevaliers, debout, l’attendaient. Mais, devant la porte, elle-même dut attendre, pour laisser entrer d’abord la princesse Ziemowita, qui était sœur du Roi. Bientôt la grande salle se remplit de convives. Le Roi s’assit au haut de la table, ayant près de lui l’évêque de Cracovie, Woyclech Iastrebiec. Ce prélat était le délégué du Pape : c’est à ce titre qu’il avait l’honneur de siéger ainsi à la droite du Roi. Venaient ensuite les deux princesses ; et près d’Anne se trouvait, commodément installé dans un vaste