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le devoir de refuser sa collaboration pour une boucherie. »

Il y a des pentes où l’on dévale aisément : au terme de ces aspirations où se complaisaient l’opposition républicaine, la Maçonnerie, les Macé et les Erckmann-Chatrian, voici surgir, à l’improviste, la plus égoïste des conclusions, celle qui permet à la libre volonté de chacun de refuser son concours à une œuvre nationale que son libre jugement qualifie de boucherie. Et l’on se laisse aller à une phraséologie, édifiante peut-être pour des sectes de mennonites ou d’anabaptistes, mais susceptible, malheureusement, de donner à la désertion l’auréole de l’héroïsme.


VIII

L’instruction, la littérature, n’agissent qu’à longue échéance ; et les adversaires du militarisme n’avaient pas le temps d’attendre. Il fallait, sans tarder, « vider casernes et couvens, » écrivait à Macé un correspondant lyonnais. L’imagination toujours inquiète de Rogeard mettait sur les lèvres de Napoléon III, transformé en un croquemitaine couronné, ce propos terrible :


Et d’esprit clérical et d’esprit militaire
De la Chine au Mexique enténébrons la terre.


Il y avait péril en la demeure : on entrevoyait le sabre qui s’affilait, le goupillon qui se mouillait ; il fallait agir, et secouer l’opinion par une propagande spéciale contre le militarisme et en faveur de la paix. Edmond Potonié-Pierre, dont le père, marié à Berlin en 1852, mort à Berlin en 1868, avait autrefois joué un rôle aux congrès pacifiques de 1849 et 1850, s’essayait, depuis 1863, à faire connaître en Europe une certaine Ligue du bien public, dont Anvers était le centre, et à laquelle quelques fascicules éphémères, qualifiés de Correspondance cosmopolite, servaient d’organe : cette Ligue demeurait inaperçue, sauf de quelques initiés. Mais l’Union havraise de la Paix et les Congrès suisses de la Paix et de la Liberté avisèrent plus efficacement à la propagande souhaitée.

A la fin de décembre 1866, Santallier, rédacteur au Journal du Havre, préparait, pour le charme et l’instruction de ses frères de la loge l’Aménité, un travail sur les questions de pacification internationale. Ses amis, qui en eurent la primeur, le goûtèrent si vivement que l’Aménité convoqua, pour en entendre la lecture.