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« Tout ce que je vous dirai, commença M. Camps, c’est comme si on vous le disait là-haut. En me parlant, il me montrait le plafond. Le cabinet de Bernadotte était en effet au-dessus de la pièce où nous nous trouvions. » Après quoi le secrétaire pèse les chances de la légitimité en France. Sans nier que l’ancienne dynastie ait encore des fidèles, il déclare que l’ancien régime n’a plus de partisans. Il affirme que le grand obstacle à la royauté est la famille royale, parce que les plus confians dans l’institution ne le sont pas en ses représentans. Il répète l’opinion anglaise, qui a fait connaître « les uns comme adonnés aux pratiques d’une dévotion excessive, les autres comme peu mesurés dans leur conduite. » Il constate que cette race féconde en princes n’a pas d’hommes. Il critique les proclamations de Louis XVIII. « Du reste, monsieur le comte, votre Roi oublie trop que, depuis vingt ans, il n’est plus roi de France. Le mot d’usurpateur qu’il a sans cesse à la bouche et au bout de la plume n’a plus de sens à l’époque où nous sommes. Il y a prescription, monsieur. La Révolution, en mettant chacun à la place que lui valent son intelligence et ses mérites, a changé le monde... Vos maîtres n’ont eu ni la force ni le courage de conserver leur couronne, ils n’y ont plus de droits. Ce n’est plus que comme un don qui leur serait fait, et en acceptant les conditions qui leur seraient imposées, qu’ils peuvent espérer de remonter sur leur trône. Que parlent-ils donc de donner et de promettre ? Ils n’ont rien. Non, monsieur, si vous rentrez jamais en France, il faudra vous défaire de vos vieilles idées et de vos préjugés. Il faudra que vous laissiez tout tel que vous le trouverez établi. Il n’y a de réformes à faire que sur vous-mêmes. »

Avec quels sentimens le gentilhomme qui avait accepté pour dogmes l’illégitimité et l’impuissance de la Révolution dut-il entendre la leçon faite aux rois par un marchand de parapluies ! Pourtant, il y a pour les sincères une telle force dans la vérité même ennemie, que cet entretien, clarté brutale et douloureuse, révèle un monde au proscrit. Le soir même, il écrit à sa femme : « Tu sais ma déception de n’avoir pu joindre le prince royal, mais je viens de causer avec l’homme de toute sa confiance, un M. Camps, odieux de forme et de langage, mais qui, malgré tout, m’a bouleversé. Que nous jugeons mal ce qui se passe en dehors de nous et de nos préjugés ! Nous nous obstinons à nous croire au-dessus des hommes de la Révolution. Celui que je viens de