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aussi facilement en Angleterre, demeura jusqu’en 1807 à Brunswick. Et, comme le pauvre Auguste n’était pas assez riche pour offrir à sa femme l’hospitalité de Londres, le père garda auprès de lui sa fille. Ainsi commencèrent les séparations forcées qui, interrompues par la joie de quelques retours, allaient être la vie des jeunes époux : séparations heureuses elles-mêmes, non pour eux, mais pour nous, car elles nous ont valu ces lettres où M. de La Ferronnays s’exprime avec tant de sincérité sur les événemens, sur les personnes, même royales, et fait connaître d’abord « son » prince, le Duc de Berry.

La Ferronnays se sentait envers lui une grande dette et voulait l’acquitter. Pour cela, ce n’était pas assez de suivre les destinées du Duc, il fallait en toute occasion servir son honneur et, s’il se pouvait, sa gloire. La reconnaissance de La Ferronnays rêvait d’un héros.

Le Duc de Berry n’en avait pas la mine. La taille trop courte, les épaules trop hautes, le front trop bas, les yeux trop à fleur de tête, c’était un corps tout en trop et en trop peu. Son âme ressemblait à son corps. Il était la preuve qu’il peut y avoir des enfans abandonnés, même sur les marches du trône. Jusqu’à dix ans, il avait connu la solitude à Versailles : le Comte d’Artois, son père, était toujours envolé en galanteries ; sa mère ne s’occupait qu’à suivre du regard ces butinages capricieux, inconsolable d’être à peu près la seule femme dont ce papillon ne s’approchât jamais. Dès 1791, elle avait cherché auprès du roi de Savoie, son frère, un refuge contre les menaces de la Révolution qui commençait et l’offense d’infidélités qui ne finissaient pas. Elle emmenait avec elle ses enfans, Berry et Angoulême ; à peine arrivaient-ils que le roi avait trouvé « les petits d’Artois bien encombrans. » Il avait fallu les expédier à l’armée des princes, et là, du moins, ils avaient chance de rencontrer leur père, puisque leur âge les obligeait à rester où l’on ne se battait pas. Mais l’armée avait été dissoute et, jusqu’en 1796, ils avaient vécu confinés dans le château de Ham en Westphalie, et confiés à un vieux gouverneur qui leur avait surtout appris à monter à cheval. Il n’y avait eu guère à s’occuper du Duc de Berry, quand il sortit de l’enfance, qu’une beauté sur le retour ; elle avait appris à l’adolescent les passions d’un homme. Homme, il l’avait été mieux en 1796, à l’armée de Condé, où il avait fait en face de l’ennemi son devoir de prince, et où il s’était montré ami généreux, ce que les princes ne sont