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malheurs publics, les exils des princes, les marches des armées, les colères des nations allaient respecter ce frêle lien, rapprocher les existences de ces deux enfans, favoriser leur tendresse, et confondre leurs vies.

Eux, ne le prévoyaient guère à leur première rencontre. Elle le trouva « laid, petit, gauche, engoncé à l’excès. » Lui ne songeait qu’à la gloire de son premier uniforme, et bientôt après, il trouvait à Saarbach, l’habit gris, la veste écarlate, le casque à plumet blanc des cavaliers nobles, et aussi les premiers huit sous, qui désormais devaient suffire chaque jour à sa nourriture, son entretien et ses plaisirs. C’était la misère, mais la misère est l’épreuve que la jeunesse supporte le mieux. Le corps a ses énergies intactes, et l’imagination, que l’expérience n’a pas encore intimidée, jette sur l’indigence des réalités les voiles superbes des rêves. Il apprenait le métier, n’avait pas besoin d’apprendre le courage, et il avait fait ses preuves quand, le 18 avril 1797, l’armistice de Leoben donnant à l’armée de Condé quelque repos, il reprit avec son père la route de Brunswick.

L’évêque, tandis que son neveu bataillait, avait fait faire la première communion à Mlle de Montsoreau, et, sans se douter qu’il la préparât à un autre sacrement, s’était fort lié avec le père et la mère. Auguste, dans cette intimité, eut vite place : « Nous le vîmes bientôt tous les jours, mais, en dépit ou peut-être à cause de sa campagne, il n’était pas embelli. Tout de suite il eut l’air assez occupé de nous, mais comme on s’occupait alors des jeunes filles, sans s’approcher d’elles et sans leur dire un mot. » Dieu sait pourtant si, depuis l’arrivée des émigrés, on parlait dans la petite ville ! Se recevoir était leur grande affaire, leur seul plaisir et le soulagement de tous leurs maux. Mal logés, mal vêtus, mal nourris, ils allaient de galetas en galetas, se passaient de dîner pourvu qu’ils eussent faim en compagnie, gardaient toute leur élégante fierté sous leurs habits reprisés, sous leurs robes de jaconas à la Noël, et, rien qu’à se voir, changeaient toutes leurs grandes et petites épreuves en rires. Comme la Cour avait à Trianon joué à la bergerie, l’on eût dit que la noblesse de France se donnait la comédie de la pauvreté. Le duc et la duchesse de Brunswick, bénissant le ciel qu’il leur eût envoyé des Français malheureux pour mettre quelque gaieté dans leur bonheur allemand, avaient ouvert leur petite cour aux exilés. Aussitôt ce fut une fureur de se faire présenter. « Le matin on menuisait, cartonnait, peignait