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I

Auguste de La Ferronnays naquit en 1777 à Saint-Malo. Il passa son enfance dans un manoir de Vendée. Son père, bon officier et bon courtisan, partageait sa vie entre son régiment et Versailles. Chaque année, il se souvenait, à la saison des chasses, qu’il avait une femme et des enfans dans une contrée giboyeuse, et la famille recouvrait son chef. Il donnait les heures de clarté aux bêtes, la somnolence du soir aux siens, et, après quelques jours, disparaissait jusqu’à l’année suivante.

Mme de La Ferronnays, créole de Saint-Domingue, était, dans la solitude de cet abandon et sous la pâleur de notre ciel, comme une âme qui a froid. D’autant plus mère quelle était moins épouse, elle étendait son affection douloureuse, comme une ombre trop matinale, sur les jeunes vies écloses d’elle : l’enfance a besoin de joie comme les plantes de soleil. Aucune influence d’homme n’eût dirigé Auguste, s’il n’avait eu un oncle, évêque de Lisieux. Celui-ci, cadet de La Ferronnays, tandis que ses cinq frères portaient les armes, avait charge d’avoir de la sainteté pour six. Il était une de ces natures simples et pures sur la bonté native desquelles le mal ne trouve pas de prises, mais dont l’innocence un peu moutonnière bêle trop et n’agit pas assez. Sur sa demande, Mme de La Ferronnays consentit à lui confier Auguste, alors âgé de dix ans. L’évêque l’amena dans un collège que le diocèse de Lisieux entretenait à Paris, attacha à son neveu un abbé et, croyant avoir fait pour le mieux, le pasteur retourna à ses moutons. Le précepteur était de cette espèce qui se plaît à tyranniser sous prétexte d’assouplir. Quel changement pour l’oiseau tombé du nid, de se glacer à cette froideur, de se blesser à cette dureté, de se sentir étranger et haï ! Là, il n’apprit guère qu’à souffrir : c’est, il est vrai, la science des sciences, mais n’est-ce pas trop tôt de la connaître à dix ans ? Il fallut, pour délivrer le captif, la Révolution française. Elle promettait l’indépendance aux hommes, elle la donna du moins aux écoliers, puisque, aux premiers désordres de la capitale, les collèges se fermèrent. Auguste prit son vol vers sa Vendée et les caresses de sa mère. Cette joie du bonheur retrouvé et que la comparaison rendait plus parfait ne dura pas. Vers la fin de 1790, M. de La Ferronnays apparut.

Ce n’était pas cette fois pour sa chasse ordinaire : une autre,