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que ce titre lui faisait plaisir ; enfin il eut l’audace de dire que si Jupiter et l’Empereur l’invitaient à dîner le même jour, il irait au Palatin. Il en fut pour ses avances : Domitien s’obstina à ne pas l’inviter. Il n’en obtint que quelques-unes de ces faveurs légères, qui ne coûtent rien à celui qui les donne et rapportent peu à celui qui les reçoit[1]. Mais il était tenace et ne se décourageait pas vite. Il raconte qu’un jour qu’il se plaignait à Minerve, la protectrice de Domitien, que l’Empereur lui eût refusé quelques milliers de sesterces qu’il lui demandait : « Sot que tu es, répondit la déesse ! ne dis pas qu’il te les refuse : il ne les a pas encore donnés. »

Il en était là, ne se lassant pas de recommencer ses flatteries et ses prières, harcelant de ses requêtes les favoris du maître et le maître lui-même, et comptant toujours qu’elles finiraient par être écoutées, lorsqu’un matin de l’année 96, Domitien fut assassiné, dans sa chambre, par ses plus intimes serviteurs.


VII


À ce moment, la situation de Martial nous semble assez brillante, quoiqu’il en paraisse moins satisfait que jamais. D’abord sa réputation n’est pas contestée à Rome ; on le lit, on l’admire, et il peut dire sans exagération qu’il est dans toutes les mains ; il y a même des gens d’esprit, qui savent ses épigrammes par cœur, et se font un succès en les plaçant à propos dans les réunions mondaines. Mais ce qui le rendait plus fier que le reste, c’est la vogue dont ses œuvres jouissaient dans les provinces. Rome était toujours la grande ville dont Cicéron disait déjà « qu’on ne peut vivre qu’à sa lumière. » On ne la quittait pas sans regret, et de loin on avait toujours les yeux sur elle. César, pendant ses campagnes, y entretenait des correspondans, chargés de lui faire parvenir, jusqu’au fond de la Gaule, les plaisanteries des mimes, et les bons mots de Cicéron. Pour tous les Romains, exilés dans les fonctions publiques, légats de légions, gouverneurs de provinces, procurateurs chargés de gérer les propriétés des princes ou les finances de l’État, même pour les

  1. Notamment le jus trium liberorum, c’est-à-dire la jouissance des privilèges de ceux qui avaient trois enfans vivans et le tribunat honoraire, qui donnait le titre de chevalier romain. Martial prétend même que par son influence il avait obtenu pour d’autres personnes ces mêmes avantages.