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qui fut aussi l’éditeur de Quintilien, était, ce semble, bien moins cher. Martial dit que pour un de ses livres il se contentait de prendre quatre ou même deux sesterces (40 centimes) ; il est vrai qu’il s’agit des Xenia, une plaquette de peu d’importance, qui contient tout juste deux cents devises pour les cadeaux des Saturnales : même en les donnant à si bon compte, Tryphon trouvait moyen d’y gagner. Ajoutons que ce n’était pas seulement à Rome que les livres de Martial se vendaient, on les expédiait en province, où ils étaient fort appréciés. Mais, de ce commerce lucratif rien ne revenait au pauvre poète. C’est lui qui nous l’apprend, et, quoiqu’il paraisse résigné d’ordinaire à cette injustice, il ne peut s’empêcher cette fois d’en parler avec quelque amertume : « On dit que mes vers sont chantés jusque dans la Bretagne ; mais à quoi cela me sert-il ? Ma bourse n’en sait rien. »

Les autres moyens, par lesquels les poètes cherchaient alors à se faire connaître, n’étaient pas plus favorables à leur fortune. Par exemple, les lectures publiques, dont on usait beaucoup, coûtaient cher et ne rapportaient rien. Il fallait se procurer une salle et la meubler, louer les chaises qu’on plaçait dans l’orchestre, les bancs, qui figuraient les gradins, la chaire où s’asseyait le lecteur ; il fallait lancer des invitations et les renouveler plus d’une fois pour rafraîchir la mémoire des invités. Non seulement les auditeurs ne payaient pas, mais on en payait souvent quelques-uns pour applaudir aux bons endroits. Stace n’avait pas besoin de recourir à ce procédé ; son succès était sûr. Quand il lisait sa Thébaïde, c’était une joie pour tous les lettrés de Rome et les applaudissemens ébranlaient la salle : ce qui ne l’empêchait pas, nous dit Juvénal, quand il revenait chez lui, de n’avoir pas de quoi manger. Les concours littéraires, qui s’étaient beaucoup multipliés, et dans lesquels, depuis Néron, la poésie avait une place, ne donnaient guère plus de profit : on y distribuait surtout au vainqueur des couronnes et des palmes. Le père de Stace, qui avait remporté des prix à tous les jeux de la Grèce, n’en était pas moins forcé d’ouvrir une école pour vivre.

Tout cela, Martial le savait d’avance ; il ne se faisait aucune illusion sur le profit qu’il pourrait tirer de la vente de ses livres, et il ne paraît pas qu’il ait jamais cherché les récompenses des concours littéraires. La seule ressource sur laquelle il comptait était celle dont avaient usé tous les poètes avant lui, la libéralité des gens riches, et nous avons vu qu’il la sollicitait