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Martial ; mais on y trouve son ami Pline le Jeune, que le poète n’aborde qu’avec respect et qui le fait souvenir de Caton. Un des plus curieux, dans le nombre, est cet Antonius Primus, qui eut son heure de célébrité. Il était de Toulouse, et ses compatriotes, dans le patois de leur pays, l’avaient surnommé Becco (l’homme au grand nez). Condamné sous Néron pour crime de faux, il avait trouvé moyen de se remettre en selle, et, à la mort d’Othon, il commandait une légion dans l’armée de Pannonie. Il se déclara résolument pour Vespasien, se jeta sur l’Italie, quoiqu’il eût reçu l’ordre de n’en rien faire, battit Vitellius, malgré tout le monde, pilla et brûla Crémone et prit Rome d’assaut. Ses soldats l’adoraient et ne voulaient suivre que lui ; il les fascinait par son audace, par sa faconde. Dans les conseils de guerre, il parlait plus haut que les autres, de manière à être entendu par les centurions, hors de la tente. Au plus fort de la mêlée, il courait les rangs, trouvant un mot à dire à chacun, encourageant les braves, traitant les lâches de pékins (pagani), toujours prêt, s’il les voyait faiblir, à prendre l’aigle et à se jeter sur l’ennemi. C’était un de ces héros d’aventures dont les partis se servent pendant la lutte et qu’on éloigne après le succès. Celui-là, la guerre finie, disparaît de l’histoire et nous ne saurions pas ce qu’il est devenu, si nous ne le retrouvions dans Martial. Il était retourné à Toulouse et y vieillissait tranquillement ; mais, comme il ne lui déplaisait pas qu’il lui arrivât encore, dans sa retraite, quelque bruit de la vie de Rome, il lisait les épigrammes de Martial ; le poète avait soin de les lui adresser lui-même, en lui faisant remarquer qu’un livre a plus de prix quand il vient directement de l’auteur, que si on l’achetait chez le libraire. Ce personnage mérite vraiment de n’être pas oublié : c’est le premier Gascon dont on ait gardé la mémoire.


V


Parmi les personnes importantes de cette époque, il y avait deux grands poètes : Stace et Juvénal. Martial n’a jamais dit un mot du premier, quoique assurément il dut le connaître ; il était l’ami intime de l’autre.

Les destinées de Martial et de Stace offrent des ressemblances surprenantes. Tous deux étaient nés hors de Rome et fort attachés à leur pays d’origine qu’ils n’ont cessé de regretter ; tous