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vive, alerte, spirituelle, qui raconte plaisamment une anecdote, raille un travers ou met en saillie un bon mot. Comme l’intérêt y est surtout dans le trait qui la termine, le poète y prépare d’avance son lecteur, et, dès le début, tout se dirige vers la piqûre finale. Cette façon de procéder, qui est dans toutes un peu la même, risque à la longue de les faire paraître monotones, et, quand on en réunit un grand nombre à la suite les unes des autres, la monotonie y devient encore plus apparente. Martial, qui était un homme de goût, le sentait bien, aussi a-t-il grand soin de demander grâce pour elles. Dès le début, il avoue sans détour que tout n’est pas irréprochable dans ses ouvrages : « Il y a du bien, il y a du médiocre, il y a encore plus de mauvais. » Mais il ne faut pas être trop rigoureux pour des épigrammes. S’il y en a la moitié de bonnes, cela suffit ; on doit pardonner aux autres. D’ailleurs, quel besoin de les lire toutes de suite ? Trouvez-vous qu’il y en a trop ? n’en lisez que quelques-unes ; vous reprendrez le reste plus tard. — Le conseil est sage : Martial est un de ces auteurs qu’il ne faut prendre qu’à dose modérée, et par intervalles.

Mais le vrai moyen de trouver du plaisir à le lire, c’est de le remettre en son temps, de vivre un moment avec lui de sa vie et de celle des gens qu’il fréquentait. C’était une société riche, restreinte et choisie ; il a grand soin de nous dire qu’il ne s’adresse pas à tout le monde : « D’autres écrivent pour la foule ; moi, je ne tiens à plaire qu’à quelques personnes ; » il veut plaire à ces gens de goût, à ces gens d’esprit, qui sont habitués aux conversations légères, qu’un mot leste n’effarouche pas, qui pardonnent une sottise, quand elle est dite finement. Son livre lui semble mériter une autre fortune que d’être solennellement placé dans une bibliothèque, à côté des ouvrages de philosophie ou de science, et consulté de temps en temps par les gens graves ; comme il est mince de format, d’aspect agréable, peu gênant, on peut le mettre sous sa toge et l’en tirer, pour le lire, quand on se promène sous un portique ; on l’emporte avec soi dans ces repas où se réunit la bonne compagnie, et, vers la fin du dîner, lorsqu’on est las de parler des cochers et des chevaux ou de raconter les nouvelles du jour, on passe aux dernières épigrammes de Martial et l’on s’en régale. C’est à peine si l’on change de sujet, car Martial aussi aime à parler de tout ce qui occupe la curiosité futile des désœuvrés du grand monde ; il est partout