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Nous avons tous les jours l’habitude de voir
Cette route si simple et si souvent suivie,
Et pourtant quelque chose est changé dans la vie ;
Nous n’aurons plus jamais notre âme de ce soir...


LA JOURNÉE HEUREUSE


Voici que je défaille et tremble de vous voir,
Bel Été qui venez jouer et vous asseoir
Dans le jardin feuillu, sous l’arbre et la tonnelle,
— Comme votre douceur sur mon âme ruisselle...
Je retrouve le pré, l’étang, les noyers ronds,
Les rosiers vifs avec leurs vols de moucherons ;
Le sapin dont l’écorce est résineuse et chaude ;
Tout le miel de l’été aromatise et rôde
Dans le vent qui se pend aux fleurs comme un essaim.
— On voit déjà gonfler et mûrir le raisin,
L’odeur du blé nombreux se lève de la terre.
Le jour est abondant et pur, l’air désaltère
Comme l’eau que l’on boit à l’ombre dans les puits,
Le jardin se repose, enfermé dans son buis...
— Ah ! moment délicat et tendre de l’année,
Je vais vous respirer tout au long des journées
Et presser sur mon cœur les moissons du chemin,
Je vais aller goûter et prendre dans mes mains
Le bois, les sources d’eaux, la haie et ses épines ;
— Et, lorsque sur le bord rosissant des collines
Vous irez descendant et mourant, beau soleil.
Je reviendrai, suivant dans l’air calme et vermeil
La route du silence et de l’odeur fruitière,
Au potager fleuri, plein d’herbes familières,
Heureuse de trouver, au cher instant du soir.
Le jardin sommeillant, l’eau fraîche, et l’arrosoir...


A SOI-MÊME


Mon cœur, plein de douceur et plein d’étonnement,
Cessez de vous mêler à la foule des hommes.
Leurs cris passent vos sens et votre entendement ;
Demeurons l’être simple et tendre que nous sommes...