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Antilles et à la Guyane, organiser un système d'inspection du travail sur les plantations, pour protéger les « coolies » immigrans. En d'autres termes, sans décourager ces essais d'introduction de travailleurs aguerris au climat des tropiques, on doit veiller à ce que le salaire de leur travail soit payé régulièrement, qu’en cas de maladie, on leur donne des soins médicaux et qu'au terme de leur engagement on les rapatrie, suivant leur contrat[1]. Les culons européens ne devraient pas oublier que le travail volontaire seul est ennoblissant et devraient respecter, dans ces ouvriers asiatiques ou africains, les collaborateurs de leur fortune.

Entre les captifs de guerre et les captifs de case, il y a une catégorie de nègres très intéressante, ce sont les fugitifs. Ceux-ci se sont évadés pour échapper aux sévices de maîtres brutaux ou aux menaces de mort d'un sorcier, qui voulait les immoler en l’honneur d'une idole ; ceux-là avaient été abandonnés pour cause d'infirmité ou de vieillesse. C'est pour eux qu'ont été établis les « villages de liberté. » Jadis, l'enceinte seule de nos postes militaires servait d'asile aux esclaves fugitifs. C'est ainsi que cela se passait au Sénégal et encore aujourd'hui dans nos postes les plus avancés à l'intérieur. Si, au bout de trois mois, l'esclave n'est pas réclamé par son propriétaire légitime, comme captif de case, il est déclaré libre et reçoit un certificat d'émancipé.

Le général Gallieni, alors colonel et gouverneur du Soudan français, créa auprès de chaque poste un village de liberté, où les captifs maltraités trouvèrent bon accueil (1887) ; on favorisa le mariage des meilleurs cultivateurs avec les femmes indigènes, en sorte qu'ils crûrent et se multiplièrent rapidement. Plus tard, quand la guerre avec les Toucouleurs eut fait presque un désert du Haut-Sénégal, le colonel Archinard n'eut qu'à puiser dans le trop-plein de ces asiles de réfugiés, pour créer des villages sur la route de Kayes à Bammakou, et c'est ainsi qu'il repeupla la contrée. Il y avait au Soudan, en 1895, quarante-quatre villages de liberté habités par 793 indigènes arrachés à la servitude et dont les trois quarts s'étaient acquis un certain bien-être. On en a établi de même au Congo français et à la Côte de Guinée.

  1. C'est à cela que tend le projet de décret sur l'immigration à l’ile de la Réunion, dont nous avons parlé au début de cette étude. Il réglemente l'introduction, le logement, la durée du travail, le traitement médical et le rapatriement des travailleurs asiatiques ou africains. Pourquoi ne l'étendrait-on pas à la Nouvelle-Calédonie et, en général, à toute colonie, où l'on emploie des « coolies ? »