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remarquions plus haut, ont précédé l’Europe d’un petit nombre d’années.

Mais quelle est donc cette force mystérieuse qui nous a valu, au cours de ce dernier demi-siècle, la révolution sans précédent dont nous sommes témoins ?


II

Nous avons indiqué des causes générales, qui sont de tous les temps, qui étaient vraies déjà pour nos pères comme elles le sont pour nous, et qui expliquent en partie l’éloignement des occupations agricoles et l’affluence vers les centres. Mais, pour déchaîner la crise où nous sommes, et dont nous ne voyons pas encore la fin, il a fallu d’autres facteurs. Certains faits de date récente ont aussi agi avec force, et précipité l’évolution. Ces facteurs se ramènent à six principaux.

Signalons d’abord l’avènement même de la démocratie. La démocratie, une fois assise, devait produire à son tour des changemens nombreux dans la vie des sociétés, mais pour le moment nous ne voulons considérer qu’un seul aspect de la question : l’apparition dans le monde du gouvernement du peuple par le peuple, et de l’esprit nouveau qui correspond à ce régime. Qui dit démocratie dit égalité, fin des privilèges, revanche souvent brutale des humbles sur les puissans et les favorisés de jadis, et par suite, possibilité pour tous de rechercher les avantages d’une position meilleure. Il a suffi que le vent de la démocratie se mît à souffler pour que, bien vite, un besoin de changement, sans égal dans le passé, se manifestât parmi les hommes. La carrière était grande ouverte à toutes les ambitions, raisonnables ou démesurées ; les entraves qui, dans les lois ou les mœurs, avaient longtemps arrêté la marche en avant, cessaient d’exister ; les couches inférieures de la population relevaient la tête et se sentaient appelées à un avenir à peine entrevu. La démocratie a, en un mot, développé une mentalité particulière ; elle a stimulé chez tous les aspirations au bien-être, l’esprit d’entreprise, l’effort individuel, et, c’est seulement depuis qu’elle s’est établie que ce que nous avons appelé « l’instinct d’ascension professionnelle » a donné toute sa mesure.

Nous citerons en second lieu les progrès de l’instruction populaire.