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qui me reste, ce qui forme le fond même de mon cœur, c’est la passion pour les choses religieuses, la soif d’une conviction sincère. » En effet, à partir de ce moment sa vie devient, et de plus en plus, essentiellement religieuse. On a l’impression qu’en secouant les dogmes de l’Église, il s’est juré de faire de sa vie même une religion en action. Plongé dans l’étude de Kant, son admiration, jusque-là, ne lui avait pas permis de le critiquer en rien. Le lendemain même du jour où sa décision est irrévocablement prise, il se retourne contre ce qui lui paraissait être, contre ce qui est en effet le point le plus faible de la doctrine de Kant : je veux dire ses idées religieuses. Schopenhauer a très spirituellement dit que l’impératif catégorique, ce pivot de la morale kantienne, est à une vraie morale ce qu’une jambe de bois est à un jarret solide, de chair et d’os. Stein, à cette époque, ne connaissait pas Schopenhauer, ou ne le connaissait que très superficiellement ; c’est son instinct si profondément religieux qui lui montrait, dans le cœur, le centre et le foyer de toute vraie religion, et qui lui faisait comprendre qu’à celle-ci la raison ne suffira jamais sans l’amour. Autre symptôme : le sexe commence à parler, et le sang à bouillir ; Stein réagit, avec l’austérité d’un cénobite ; mais cette fièvre de jeunesse le poursuit jusque dans ses rêves. Un matin, se réveillant après quelque vision délirante : « Ah ! s’écrie-t-il, comme je conçois que la passion puisse faire perdre la raison ! Qu’il doit être doux de mourir, quand c’est d’amour qu’on meurt ! » Mais, aussitôt, il se redresse avec un énergique : Vade retro Satanas ! Il a, il le sent, il le dit, une œuvre à accomplir, une vie, et une vie de dignité, à vivre.

Voilà donc Stein sorti définitivement de la théologie pour se vouer à la philosophie. Mais ce changement de front s’opère d’une façon bien caractéristique, et qui marque d’un nouveau trait distinctif l’évolution psychique que je cherche à décrire. « La théologie, nous dit le Journal, construit de haut en bas ; des nuages, elle descend à terre. Cette méthode, je la connais, et j’en ai assez ; désormais, je veux suivre une voie inverse, et ne construire l’édifice que sur une base solide, sur ce roc vif que je sens là sous mes pieds. » Donc, il étudiera les sciences naturelles : résolution, certes, aussi importante que son abandon de la théologie. On eût pu craindre, en effet, que le jeune Stein, imbu de platonisme et de kantisme, ne se lançât dans la scolastique hégélienne, hartmanienne, que sais-je ? Ce qui l’en empêcha, je ne crains pas de