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admettre que, strictement neutre en matière confessionnelle, il n’avait d’autre prétention que de plier les uns comme les autres au service du pays, et que des préoccupations très terre à terre peut-être, mais fort impérieuses et radicalement extérieures au souci de l’au-delà, commandaient sa conduite. Des deux parts enfin, l’on se faisait d’égales illusions sur la sincérité de la foi chez les indigènes, et l’on s’attachait plus, en fait de conversions, à dresser des statistiques qu’à conquérir des consciences. Le plus fâcheux était qu’on prenait au sérieux à Paris tout le bruit qui se faisait à ce propos dans l’île.

« Pasteurs, curés, jésuites, jouent ici le rôle le plus fâcheux et le plus ridicule qu’on puisse imaginer, dit une lettre privée de Madagascar, en avril 1897. Si les missions ont obtenu des résultats sérieux au point de vue de l’enseignement, il n’en est pas de même au point de vue religieux, quoi qu’elles puissent prétendre. Le Malgache n’a pas de convictions religieuses ; il est simplement fétichiste au fond de son être. Il change de religion avec une facilité remarquable, au gré du dernier qui lui parle, d’une simple fantaisie même. Cela n’a pas d’importance pour lui. Je gage que, sur un ordre du résident général, tous les Hovas de l’Emyrne se feraient catholiques le lundi, pour se refaire protestans le jeudi de la même semaine si cela leur était prescrit. »

Cette appréciation quelque peu sceptique ne se comprend que trop aisément pour qui connaît les origines et les procédés de règne des missions chrétiennes à Madagascar. Après un premier essai pour s’implanter dans l’île de 1820 à 1835, les protestans anglais en furent chassés alors par Hanavalo Ier et n’y revinrent qu’en 1861, mais pour se heurter cette fois aux jésuites, fort en faveur auprès de Radama II. Ce dernier ayant été assassiné pour l’excès de ses sympathies françaises, ils s’insinuèrent peu à peu à la cour jusqu’au moment où, en 1868, Ranavalo II s’étant faite protestante, fut naturellement suivie dans sa conversion par un grand nombre de ses sujets, et accorda cette marque insigne de protection à sa nouvelle religion, qu’elle interdit expressément à tout enfant inscrit dans une école d’en jamais changer dans l’avenir.

Cette loi, fondement de la liberté religieuse à la mode malgache, subsistait encore au moment de notre prise de possession. L’un des premiers soins de M. Laroche fut de la faire abroger (9 mars 1896). Mais comme il soupçonnait l’extrême mobilité du