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la discussion qu’on avait repoussée avant ? On pouvait espérer que l’opposition, ayant reconnu la puissance de la majorité, se montrerait plus traitable. Si les bruits qui ont couru sont exacts, les chefs de l’opposition constitutionnelle de gauche, MM. Giolitti et Zanardelli, faisaient des propositions conciliantes : il aurait suffi de les accueillir pour rompre la solidarité qui s’était établie entre eux et les élémens plus avancés de la gauche. Par malheur, après s’être prolongés quelques jours, les pourparlers ont été rompus. Les passions de la majorité ne sont pas moins ardentes que celles de la minorité. L’inspirateur de la majorité est M. Sonnino, homme de mérite assurément, mais qui, rallié à l’école de M. Crispi, aime mieux tendre et faire grincer les ressorts que d’y mettre de l’huile. Le gouvernement doit compter avec lui. Le général Pelloux, après quelques jours d’hésitation, a fini par pencher, ou par tomber de son côté. Le mot d’ordre a été : plus de concessions. On a chapitré le président de la Chambre, M. Colombo, qui avait montré une remarquable fermeté pour faire voter la réforme du règlement. On lui a dit qu’on attendait de sa part plus encore, et qu’il pouvait s’élever d’un coup au rang des présidens historiques en introduisant, s’il le fallait, la force armée dans la salle des séances et en faisant empoigner et expulser tous les députés récalcitrans. Cette gloire n’a pas tenté M. Colombo. L’idée de faire arrêter cent cinquante députés, dont plusieurs avaient été ministres, présidens du Conseil, ou même présidens de la Chambre comme lui-même, l’a effarouché. Aussi, quand la session s’est rouverte, y avait-il entre la majorité et son président une différence de température morale qu’on n’a pas tardé à constater. Le gouvernement avait pourtant bien fait les choses : il avait mis un certain nombre de carabiniers, invisibles, mais présens, à portée de la main de M. Colombo, n’aurait suffi à ce dernier de faire un signe pour donner à ses compatriotes et à l’Europe le spectacle d’une de ces scènes auxquelles le gouvernement parlementaire a de la peine à survivre, parce qu’elles montrent trop crûment combien il est désarmé devant le simple emploi de la force. La Chambre s’est réunie. Aussitôt les membres de l’opposition ont employé un procédé d’obstruction moins brutal que d’autres, mais non moins efficace : ils se sont mis à chanter des chœurs a tue-tête, h’Hymne des travailleurs alternait avec l’Hymne de Garibaldi. Il a été bientôt évident que la capacité musicale de l’opposition ne s’épuiserait pas avant de longues heures, et que, dès lors, il fallait renoncer à toute discussion de l’ordre du jour. La majorité indignée se tournait vers le Président, et lui jetait des regards excitateurs.