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triomphèrent et me pressèrent de rétrograder. Et pourquoi ? Ces résistances ne me surprenaient pas, je les avais prévues, je les attendais, et elles ne décourageraient pas ma certitude d’en venir à bout. Il m’a fallu dix ans, mais j’y suis parvenu.


X

Mon pronunciamiento était accompli. Malgré les froideurs, les soupçons qu’il me valut, je ressentais un véritable bien-être moral d’avoir dégagé franchement ma pensée et m’être montré tel que j’étais. Les coalisés de l’Union libérale subversive eussent bien voulu obtenir de mes collègues un désaveu qui nous eût coupés en deux et anéantis. Aucun n’en eut même la velléité. )Nous ne différions que sur des éventualités, dont la réalisation était problématique et lointaine. Nos rapports ne subirent aucune altération et, toujours unis, nous poursuivîmes notre marche en avant.

Du reste, peu de jours après, Jules Favre encourut les mêmes réprobations. A propos de la question romaine, Keller avait prononcé, dans la discussion générale de l’Adresse, un discours dont l’effet avait été considérable. C’était un jeune député, nommé grâce à l’appui énergique du gouvernement. De haute taille, mince, le visage fier et grave, il offrait dans sa personne un mélange d’ascète et de soldat. Quoique son débit fût un peu monotone, dès les premiers mots, il éveilla les sympathies. Il alla droit au point vulnérable : « Les intentions du gouvernement inspirent la même confiance à ceux qui désirent le maintien du pouvoir temporel du Saint-Siège et à ceux qui espèrent sa ruine complète et prochaine. Ces deux confiances sont incompatibles ; il est temps de voir qui a raison. » Et il reprit avec une vigueur ardente le tableau des iniquités du Piémont et des complaisances de la France. « Qu’on ne cherche ni excuse ni faux-fuyans ! La France est responsable de tout ce que le Piémont a fait à l’Italie, et elle est même moins excusable ! Le Piémont était trop faible pour résister à l’entraînement des passions révolutionnaires, tandis que, d’un mot, nous pouvions les arrêter. » Tant qu’il s’agit du Piémont, l’orateur, quoique très acerbe, garda encore quelque retenue ; quand il parla du Pape, « notre Pontife, notre père bien-aimé, le gardien de nos plus chères libertés, » il fut emporté dans une région extatique d’où, cessant de discuter, il anathématisa, s’en