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dans un ordre convenable, lorsque l’écrivain a soin de faire ressortir ceux qui donnent le mieux la connaissance du temps, doit suggérer au lecteur les réflexions et les jugemens que l’auteur n’a pas voulu exprimer... Si donc les récits qui vont passer sous ses yeux lui font sentir combien plus de lumières, plus de raison, plus de sympathie et d’égalité entre les hommes ont perfectionné, non pas seulement les arts et le bien-être de la vie, mais l’ordre des sociétés, la morale des individus, le sentiment du devoir, l’intelligence de la religion ; s’il reste convaincu qu’à travers tant de vicissitudes et de calamités, les peuples civilisés peuvent se comparer avec un juste orgueil à leurs devanciers courbés sous des jougs pesans et retenus par tant de liens, je ne croirai pas avoir accompli une tâche inutile[1]. Etudiés isolément, les exemples de l’histoire peuvent enseigner la perversité ou l’indifférence ; on y peut voir la violence, la ruse, la corruption justifiées par le succès ; regardée de plus haut et dans son ensemble, l’histoire de la race humaine a toujours un aspect moral ; elle montre sans cesse cette Providence qui, ayant mis au cœur de l’homme le besoin et la faculté de s’améliorer, n’a pas permis que la succession des événemens pût faire un instant douter des dons qu’elle nous a faits. »

Pendant le ministère Villèle, les doctrinaires en sont réduits aux lointaines espérances ; ils commencent même à croire que les peurs prendront désormais la place des maux, que peuples, gouvernemens et partis se feront peur et se contiendront réciproquement, qu’il y aura des réactions de peur qui n’iront pas plus loin, et que cela s’appellera le règne de l’opinion publique. L’avènement du ministère Polignac les arrache à leur sérénité orgueilleuse ; il leur rend l’indignation, l’ardeur de la bataille, la

  1. En effet, cette admirable duchesse de Broglie lui écrivait en 1824 : « Je ne puis croire que les ultras s’y trompent : cela leur fait tant de mal, on voit tellement ce pauvre peuple foulé, méprisé, écrasé, dont l’existence semble ignorée si ce n’est pour payer et pour souffrir ; traité comme une espèce de crétin, de lépreux, il parait si simple qu’un beau jour ce peuple se soit levé et se soit mis à dévorer, tout autour de lui, ce qui lui avait fait tant de mal. Vous voyez que vous m’avez rendue toute jacobine ; et pourtant, c’est sans ôter la plus petite qualité aux hommes de ce temps-là : c’est en leur conservant tout ce qui, à travers leur férocité, nous attire et nous charme, cette force de vie intérieure, cette jeunesse d’impressions, cette bonne foi dans les opinions bonnes ou mauvaises, ce besoin de mouvement, cette croyance en eux-mêmes et en toutes choses. Ils nous plaisent comme des gens qui vivaient bien fort ; cela fait tout pardonner et on les regarde avec l’espèce d’attrait avec lequel on se rappelle les plus grandes sottises de sa première jeunesse. »