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ne vote que par ministère : elle doit, par un seul vote, se prononcer sur le budget entier d’un département. Sans doute le droit de rejet existe encore. Mais une assemblée prudente, d’esprit politique, n’usera qu’à la dernière extrémité d’un pareil droit, car elle sait qu’en procédant ainsi sans nécessité absolue, elle pourrait amener de graves complications et même une révolution. »

On comprend l’effet de saisissement que produisit cette reproduction vigoureuse d’une de nos thèses, dans la bouche d’un membre très respecté de la majorité. Sur les finances, Larrabure fut plus agressif que nous ; leur situation était grave ; les exercices 1855, 1856 et 1857, ne se sont soldés en équilibre que grâce aux reliquats sauvés des emprunts de la guerre de Crimée ; l’exercice 1838, que grâce à l’aide des fonds de l’amortissement et du deuxième décime de guerre ; les dépenses ne cessent de grossir ; les guerres de Crimée et d’Italie ont accru notre dette de la somme énorme de 2 278 859 263 francs ; le découvert en perspective pour diverses causes est de 661 millions, c’est-à-dire une nouvelle dette flottante équivalant à la dette flottante actuelle ; on suspend l’amortissement, qu’il faudrait inventer, s’il n’existait pas.

Passant de l’ordre financier à la politique, Larrabure, en termes brefs, incisifs, à l’emporte-pièce, se déchaîna contre la guerre de Chine aussi véhémentement que nous contre la servitude de la presse. Il ne se rendait pas compte du but de cette étrange guerre. « Est-il politique ? Est-il commercial ? Est-il religieux ? Il ne saurait être religieux. En plein XIXe siècle, lorsque la France proclame la tolérance religieuse, comment pourrions-nous aller propager en Orient notre sainte foi à coups de canon ? Le divin fondateur du christianisme n’avait pas d’armée, et il a conquis le monde. Vouloir protéger à coups de canon nos missionnaires, qui s’enfoncent dans les profondeurs d’un pays de 400 millions d’habitans, c’est une idée, qui n’est pas de ce temps. Que l’Angleterre fasse la guerre à la Chine, on le comprend ; elle a un but commercial : son opium, ses cotonnades, ses fers, ses quincailleries à placer ; elle a à demander de grandes quantités de thés, de soieries. Mais la France, qui n’a pas de produits à donner ou à recevoir, que va-t-elle faire en Chine ? Il est à craindre qu’à son insu, la France ne serve non son intérêt, mais celui de l’Angleterre. Aussi, plus tôt on terminera cette guerre désastreuse, mieux cela vaudra. »

Cette fois, Baroche ne souffla mot. Le commissaire du gouvernement,