Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/201

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la cause profondes qui distinguent le fer de tous les matériaux employés jusqu’ici. Ceux-là étaient naturels ; celui-ci est artificiel.

La pierre, comme le bois, est une matière directement tirée de la nature. L’architecte peut en changer la forme, non la substance. Il peut poser la pierre en « délit ; » il peut la polir ; il peut l’évider. Mais la même âme continue d’habiter cette matière et de lui donner sa vie : âme formée lentement, avant peut-être les premières âmes humaines. Le fer. lui, est formé d’hier. Il est une transformation faite sous la main de l’homme. Il est un mélange de minerais divers, tirés de diverses régions. Il a été fondu, coulé, converti, laminé. Il ne tient plus à la nature. Le fil qui le reliait à elle est coupé. Il lui est devenu étranger. Vous ne pouvez plus compter sur les forces et les beautés naturelles pour l’animer encore. Il n’y a plus, dans le fer, les nœuds du bois, qui sont des obstacles, ni la direction des fibres, qui sont des entraves, mais qui sont des guides. Ici, tout est égal, tout est uniforme, docile, prêt à prendre n’importe quelle figure. Plus que le jet d’eau, le jet de fer est docile, mais rien en lui n’indique une figure plutôt qu’une autre, rien ne la suggère, rien ne l’appelle, rien ne la fuit. C’est à la fois le triomphe du progrès scientifique et son châtiment. Car, en même temps que vous avez dominé les résistances de la nature, vous avez perdu son enseignement. En art, comme ailleurs, on ne s’appuie que sur ce qui résiste.

Puis donc que vous ne pouvez plus compter sur les forces et les beautés naturelles pour l’animer encore, — et la preuve, c’est que les ruines du fer ne sont que des détritus, quand les ruines de la pierre, — regardez les gravures de Piranesi — sont encore des monumens, — c’est avons de lui donner une âme en échange de l’âme naturelle qu’il a perdue. Il faut, puisque toute sa substance a été formée par l’homme, que l’homme aussi se charge de sa beauté. Il ne faut plus parler de formes dictées par sa nature particulière, puisque, au sens esthétique, il n’a plus de nature. On ne peut plus parler que de l’inspiration des artistes à venir. Ils pourront, avec lui. exprimer ce qu’ils voudront, comme ils le voudront, — à cette seule condition qu’ils aient quelque chose à exprimer. Mais il ne faut pas qu’ils comptent sur sa logique pour cela. Il faut qu’ils ne comptent que sur leur propre enthousiasme. Si les poutrelles, les mailles, les treillis, les entretoises de fer ne sont qu’une ossature, si ce n’est qu’une pile d’ossemens inertes,