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dialecticien que M. Andler se serait, croyons-nous, montré plus rigoureux en concluant : — Une partie des bénéfices faits par ceux des marchands qui sont inutiles ou qui sont malhonnêtes, est soustraite aux ouvriers, comme d’ailleurs à ceux qui ne sont pas ouvriers et, en général, à tous les consommateurs. Et de même l’ouvrier paresseux ou malhonnête soustrait à tout le monde une partie de sa rémunération. Mais ce dernier raisonnement ne suffirait pas à fonder le collectivisme ! Au contraire, quel lecteur ne rêverait à une transformation radicale, de la société si on le laisse en face de cette conclusion : « Le résultat est celui-là même qu’avait décrit Marx : un amoncellement de rapines d’une part, une succession de pillages subis d’autre part, et les hommes partagés en deux classes, les marchands déprédateurs et les travailleurs frustrés »[1]. Nous craignons que cette division de l’humanité ne soit un peu trop simple et, de plus, propre à perpétuer les animosités sociales. Il n’est pas sans intérêt, chez un raisonneur aussi subtil, aussi profond, aussi merveilleusement informé, de prendre sur le fait le mouvement par lequel le collectivisme « scientifique » tend sans cesse à déborder infiniment ses prémisses, contre toutes les règles de la science.


V

Non seulement le travail mental, dans tous les domaines de l’économique, va prédominant sur le travail matériel, mais encore, par une loi inséparable des précédentes, il transforme peu à peu le travail matériel lui-même en travail mental. M. Liesse compare avec raison le monde industriel à un gigantesque organisme dont chaque membre doit devenir de plus en plus conscient de sa fonction et du jeu général de tous les autres organes[2]. Le travail mental des inventeurs, dit-il, a entraîné à sa suite celui de toutes les personnes chargées des applications scientifiques. Nous on avons déjà vu l’effet chez les entrepreneurs, « obligés, sous peine de déchéance, d’augmenter ou de modifier leur matériel » et, ajouterons-nous, de le modifier dans le sens de la science : le travail de l’entrepreneur est donc devenu ainsi plus intellectuel. Nous devons maintenant constater le même résultat pour le travail des ouvriers, forcés d’entrer en relation avec des

  1. M. Andler, Revue de métaphysique et de morale, janvier 1900.
  2. Le Travail, p. 143.