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à l’offensive et de le renverser. Quelques-uns, n’ayant pas réussi à composer avec le jury, se rebellaient déjà et mettaient carrément le fisc au défi de les atteindre. L’anecdote suivante courut sur le spéculateur Collot. qui passait pour avoir fait une fortune énorme dans la fourniture des viandes à l’armée d’Italie. Taxé à 600 000 francs, il en aurait offert 50 000 ; l’administration les aurait refusés : « Le fournisseur a ainsi terminé la discussion : Vous n’en voulez pas, vous n’aurez rien ; adieu. » Deux mois plus tard, ce même Collot se fera l’un des principaux commanditaires du coup d’Etat bonapartiste.

Loin des fournisseurs, de solides et sérieuses maisons de banque subsistaient sur la place. Leurs chefs aussi étaient spécialement visés. Toutefois ils restaient assez forts, assez nécessaires, pour que le gouvernement dût traiter avec eux de puissance à puissance. Dépourvu de toutes ressources et littéralement sans le sou, le ministre des finances, Robert Lindet, qui ne voyait de l’argent « qu’en rêve, » avait sollicité le concours des principaux banquiers parisiens. Avec un zèle louable, encouragé par la probité personnelle du ministre, les banquiers consentirent à des avances bien garanties, facilitèrent des opérations de trésorerie, qui permirent d’assurer une moitié des services.

À ce prix, ils obtinrent peut-être quelques ménagemens. D’ailleurs, leur crédit, leurs réserves suffisaient à leur faire supporter sans trop de peine la suprême expérience financière du jacobinisme. Ils ne s’en plaignirent pas moins amèrement du « régime destructeur de toute confiance, où les citoyens qui s’étaient mis le plus libéralement en avant étaient précisément ceux qu’on avait frappés avec plus de rigueur[1]. »

En somme, la force des capitaux mobiliers se trouva désormais acquise au premier qui entreprendrait de jeter bas le régime spoliateur. Quand Bonaparte reviendra d’Egypte, les capitaux l’accueilleront en libérateur ; les fournisseurs iront à lui tout de suite, à la veille de brumaire ; les banquiers viendront le lendemain ; après l’argent aventureux, l’argent prudent et circonspect. Marchandant un peu leur concours, se prêtant sans se donner, les banquiers aideront néanmoins Bonaparte à monter son gouvernement ; pendant plusieurs mois, il sera facile de distinguer derrière lui un groupe de souscripteurs éminens, fournissant leur

  1. Paroles du banquier Germain dans une réunion de capitalistes tenue chez le consul Bonaparte, après le 18 brumaire.