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« l’épousa du soir au matin, et, parce qu’il y avait quelque formalité omise, le mariage fut confirmé par l’archevêque de Malines[1]. » L’Eglise n’avait donc vu aucun empêchement à ce qu’il se mariât. De même, Nicolas-François de Lorraine, évoque de Toul et cardinal « sans être engagé dans les ordres, » devint duc de Lorraine en 1634, par l’abdication de son frère Charles, et eut alors des raisons politiques d’épouser sans retard sa cousine Claude. Il se heurta à un obstacle qui ne provenait point de son caractère d’évêque : Claude était sa parente à un degré prohibé, exigeant des dispenses de Rome. François vint trouver sa cousine et, dans la même soirée, il la demanda en mariage, reprit son caractère d’évêque pour se dispenser des bans et se promettre, au nom du pape, la dispense de parenté, quitta-définitivement son caractère d’évêque et reçut la bénédiction nuptiale[2].

Il n’y avait pas alors un abîme entre l’Église et le monde, tout au plus un petit fossé, que ces grands seigneurs passaient et repassaient à leur caprice, ou au gré de leurs intérêts. Leurs portraits rendent cette espèce de flottement très sensible. On voit au Louvre un tableau des frères Le Nain qui s’appelle Procession dans l’intérieur d’une église. La partie de la procession qui passe devant le spectateur se compose de membres du clergé, revêtus de leurs ornemens sacerdotaux. Les costumes, superbes, sont superbement portés par des hommes de mine fière et libre, n’ayant absolument rien de la réserve et du recueillement auxquels nous a accoutumés le clergé du XIXe siècle. Deux surtout sont caractéristiques, les deux beaux blonds qui viennent en tête et fixent sur l’observateur un regard droit et assuré. Leurs moustaches en crocs, leur barbe en pointe ou frisée, leur démarche hardie sous leur dalmatique brodée, ne permettent pas de s’y tromper un seul instant ; ce sont des gens du monde, des cavaliers qui vont reprendre tout à l’heure, avec le pourpoint et l’épée, les manières et les idées qui seyent au costume laïque. Quels que soient leur titre et leur rang dans l’Eglise romaine, c’est le hasard de la naissance qui les a mis de cette procession. Ils subissent les conséquences d’arrangemens de famille conclus en dehors d’eux et par lesquels ils ne se tiennent pas pour engagés sans appel. Ce qui a été fait devant leur berceau pourra être défait par leur

  1. Tallemant.
  2. Mémoires de Richelieu.