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meurt, le pouvoir de l’écrivain passe, la grande loi de l’évolution impose des moules nouveaux à de nouvelles pensées ; c’est ce que ne veulent pas comprendre les innombrables adeptes du convenu. Les écoles sont des forces conservatrices, alliées presque toujours aux superstitions aristocratiques ; les Universités sont les forteresses de la tradition ; fondées sur des livres, elles ne développent pas la personnalité. Ce que demande notre temps, c’est une interprétation neuve et fraîche de la nature et de la société. Sophocle, Shakspeare, Molière ne satisfont plus les Américains ; c’est tout simple, les Américains ont une autre manière d’envisager la vie, ils veulent être touchés directement, ils préfèrent un art plus sympathique et plus humain. Telle est cependant la force d’un enseignement routinier, ceux qui délaissent leur Shakspeare pour les modernes applaudissent tout de même l’orateur qui leur dit : le drame est mort avec Shakspeare. Les hypocrites en littérature sont aussi nombreux que les hypocrites en religion. Certes la qualité la plus nécessaire dans la discussion littéraire de nos jours n’est pas le savoir, c’est la candeur.

Il y a du vrai dans tout cela. Mais nous voudrions que M. Garland eût assez de savoir pour ne pas se tromper comme il le fait sur le rang des écrivains de France, pour ne pas placer par exemple, en parlant de nos critiques, Eugène Véron à côté de Taine. Ne serait-il pas intéressant de chercher pourquoi les noms les moins connus dans leur pays d’origine sont souvent mis en vedette par l’étranger ? Combien les jugemens que celui-ci porte sur nous doivent-ils nous faire hésiter devant ceux que nous nous sentons prêts à hasarder sur lui ! Il semble toutefois que M. Garland, au milieu des paradoxes cités plus haut et de beaucoup d’autres encore, ait raison en ce qui concerne l’avenir de la littérature de son pays ; le roman local y doit prendre, y prend déjà la première place, et ce genre de récit a une tendance, après avoir commencé dans la Nouvelle-Angleterre, à émigrer triomphalement dans l’Ouest. Les Main Travelled Roads et quelques petites nouvelles sorties du même sol, Histoires d’amour le long du chemin,[1] témoignent qu’il y atteint parfois la perfection. Seulement c’est pur enfantillage que de défendre à la nouvelle littérature américaine de devenir une littérature polie, la nation américaine étant pour cela trop grande et trop sincère ! La peinture

  1. Wayside Courtships, Hamlin Garland, 1 vol. New-York, 1897.