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directs entre les producteurs et les consommateurs de blé. On réclame des agens pour acheter directement les machines, pour procurer directement l’épicerie, au lieu de ces intermédiaires qui ruinent le pays.

Tous les jeunes gens sont d’avis que le fermier a tort de se tenir à l’écart de la politique ; il doit être représenté dans la législature de l’Etat. Alors on votera contre la corruption législative. L’éducation politique est indispensable aux masses.

Parmi les orateurs se trouve une oratrice, une jeune fille grave et frêle dont la voix, un pénétrant contralto, va droit au cœur de Bradley Talcott. Celui-ci serait en France un valet de ferme, il est là-bas un hired man, mais, en écoutant miss Wilbur, il sent un homme nouveau surgir en lui. Elle explique, avec beaucoup d’élévation et de simplicité, que le but par excellence de la Grange est l’éducation des fermiers ; que la Grange est un grand éducateur social, destiné à produire l’union, à rapprocher les uns des autres ces gens qui vivent trop séparés du reste du monde, car le fermier américain a beau être le citoyen libre d’une grande république, c’est avant tout un solitaire. Sa vie monotone, sa lourde tâche l’empêchent de cultiver ce qu’il y a de meilleur dans l’être humain. L’œuvre de la Grange est donc une œuvre sociale, tendant à rendre cette vie, aride et désemparée jusqu’ici, vraiment digne d’être vécue. Elle peut être la plus belle de toutes, si le fermier prend le temps de lire, l’habitude de penser, s’il fréquente ses semblables. Se créer un travail agréable sur une ferme prospère, voilà le but à poursuivre.

Ida Wilbur développe le thème virgilien de l’homme des champs qui connaît son bonheur avec une éloquence renouvelée de George Sand, et on l’écoute comme à l’église, et tous les yeux sont humides. La jeune fille est belle : sous l’ombre palpitante des grands chênes, elle a l’air d’une prophétesse ; pour Bradley, suspendu à ses lèvres, elle incarne un grand rêve inabordable qui dépasse son horizon, le rêve du monde des idées où il n’avait jamais cru pouvoir pénétrer. Tandis que le déjeuner sur l’herbe provoque des explosions de gaîté, il ne songe qu’à la regarder. Elle est institutrice, dit-on, fille de fermier, elle a commencé depuis peu à faire des conférences dans l’intérêt de la classe à laquelle elle appartient. Ida Wilbur veut parler pendant l’hiver dans tous les différens comtés de son pays natal. En attendant, elle a révélé à lui-même un être intelligent et déterminé qui