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veux dire), la coda de ce duo. Le thème s’annonce bien, quand l’orchestre en jette les premières notes seulement parmi les clameurs de Cassandre ; mais il se développe avec une vulgarité qu’à tout autre que Berlioz Berlioz n’eût jamais pardonnée.

C’est une chose admirable, classique toujours, et cette fois dans toute la noblesse du mot, que le passage silencieux d’Andromaque et de son fils à travers le peuple et devant l’autel des dieux. Berlioz a confié la partie chantante de cette élégie à l’instrument à vent qu’il aimait entre tous, à la clarinette, dont il vante en son Traité d’instrumentation la « délicatesse, » les « nuances fugitives » et les « affectuosités mystérieuses. » Mais la beauté de l’épisode n’est pas tout entière dans le timbre ou dans la qualité des sons : elle tient également à la ligne mélodique, à la chute irrégulière, sur la symphonie continue, des paroles de respect, des soupirs de pitié que laissent échapper et la foule et Cassandre. En de certains passages, cet andante est digne de Beethoven. Le thème, semble, à la fin, trébucher et défaillir ; il se disloque et se brise, pareil à celui de la marche funèbre de l’Héroïque. Comme cette marche aussi, comme l’allegretto de la symphonie en la, ce morceau se divise en deux parties : l’une mineure et l’autre majeure. Et cela encore, c’est l’ordre ou le partage classique, à la Gluck, à la Beethoven, entre les deux modes de l’âme, entre la douleur et l’espérance, entre les pleurs et le sourire. Il convient parfaitement ici. Δακρυόεν γελάσασα. La musique de Berlioz a bien fait de laisser à la veuve affligée les traits que la poésie homérique avait donnés à l’épouse inquiète.

Enfin, c’est une chose admirable, peut-être le sommet de l’ouvrage, que l’apparition du cheval et son entrée dans la ville. Sur la scène demeurée vide un instant, Cassandre, plus que jamais éloquente, se désespère en vain. Ses anathèmes, ses plaintes ont rompu cette fois la forme ou le moule classique. Elles s’exhalent en liberté, presque en désordre, troublées encore par un orchestre haletant. La voix entre coupée de la prêtresse tantôt se précipite et tantôt, comme dans l’appel sublime : Ô Priam ! Ô Chorèbe ! elle s’attache avec désespoir à des notes qui la déchirent. Cependant retentissent au loin, très faibles d’abord, les premiers accens de la marche triomphale. Cette marche est belle en soi, par le thème seul, et, pour une marche ce premier mérite est rare. Elle a près de quarante ans et rien d’elle n’a vieilli, n’a passé, rien surtout n’est devenu vulgaire. La splendeur de la polyphonie tient ici beaucoup plus à la masse des sonorités qu’à leur combinaison. Très développées, mais très simples, les lignes ne se mêlent pas : elles se superposent, elles s’élèvent par étages, par ordres