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vie générale de l’Empire, l’influence convenable à notre situation de grande puissance. Mais, d’autre part, la France a assumé la tâche de gouverner, aux portes de la Chine, une colonie qui est en même temps un vaste empire : de là résulte pour nous la nécessité d’une double action politique et économique, dont les deux termes, s’ils se sont parfois contrariés au temps de la conquête, se doivent aujourd’hui compléter et entr’aider ; notre politique provinciale au sud n’est pas en contradiction avec notre politique générale à Pékin : l’une doit être comme l’application de l’autre.

Le Tonkin a une valeur propre, qu’il doit à son sol, à son sous-sol, à l’industrie de ses habitans ; et il a une valeur relative, qu’il tient de sa situation géographique et de ses rapports avec les pays voisins. Déjà, quand les premiers pionniers de la domination française, Doudard de Lagrée, Francis Garnier, Dupuis, s’enfoncèrent vers les contrées presque inconnues du Yun-nan, ils cherchaient une route de pénétration vers le Céleste Empire : c’est plus encore comme une sorte d’antichambre de la Chine méridionale que pour ses richesses propres qu’ils préconisèrent l’occupation du Delta et de la vallée du Fleuve Rouge. Pendant la longue période de conquête et de pacification, des nécessités de défense militaire nous obligèrent à traiter l’empire chinois en ennemi ; des Célestes par centaines filtraient à travers nos frontières mal définies et entravaient tout essai de colonisation. Aujourd’hui, la situation a changé : tandis que nos officiers, les Galliéni et les Pennequin, purgeaient le pays des bandes de pirates et fermaient toutes les issues par où elles pouvaient s’introduire au Tonkin, notre diplomatie, mettant à profit les services rendus en 1895, réglait la délimitation des frontières et obtenait du gouvernement chinois qu’il contribuât lui-même à empêcher les bandes de malfaiteurs armés de se recruter et de se réfugier sur son territoire[1]. La pacification achevée, l’essor économique a commencé. C’est désormais dans un nouvel esprit qu’il convient d’envisager la question des rapports entre notre colonie et la Chine. Elle n’est plus une ennemie, elle est une voisine riche et commerçante. En cherchant à déterminer quelle doit être la règle de nos relations avec elle, ce n’est plus des souvenirs de la période de combat qu’il nous faut inspirer : il suffit d’étudier, sans

  1. M. Gérard à M. Hanotaux. 13 mai 1896. Livre jaune, n° 26.