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fluctuations d’une politique dont, à Pékin comme à Tokio, on avait, pendant la guerre sino-japonaise, pénétré le double jeu ; l’on savait faire entendre au Tsong-li-Yamen qu’il ne pouvait, en bonne équité, traiter avec la même faveur la Russie, l’Allemagne, la France, qui avaient sauvé la Chine, et la Grande-Bretagne qui l’avait abandonnée à l’heure du péril. Mais, des trois grands Etats, dont l’entente faisait la force, l’Allemagne manquait en Extrême-Orient d’un point d’appui territorial ; tandis que son commerce ne cessait de s’accroître, elle ne possédait pas un pouce de sol : sur les rivages chinois, ses vaisseaux et ses marchands étaient, si l’on ose dire, en l’air. La Russie et la France, au contraire, appuyées sur leurs empires de Sibérie et d’Indo-Chine, marchant d’ailleurs d’accord dans la ferveur d’une alliance nouvelle, étaient en mesure d’exercer sur le gouvernement impérial une sorte de protectorat moral. Il était légitime que l’Allemagne pût occuper, hors de la Chine proprement dite, une colonie ou un port, et sans doute il oui été facile de trouver au problème une solution amiable ; mais l’empereur Guillaume II préféra faire seul un coup d’éclat : il saisit le prétexte de l’assassinat de deux missionnaires allemands du vicariat du Chan-toung méridional, dont une négligence de notre gouvernement avait laissé échapper (en 1887 et en 1891) le protectorat religieux, pour s’emparer de la belle rade de Kiao-tchéou, sur la côte Est de la presqu’île du Chan-toung, cette Bretagne chinoise, et pour y planter solidement « le bouclier orné de l’aigle impériale.  »

La gravité de l’acte de Kiao-tchéou ne pouvait échapper à personne : c’était la Chine, la vraie Chine des dix-huit provinces, entamée ; c’étaient surtout des procédés nouveaux et funestes introduits dans la politique extrême-orientale. L’Allemagne, en se taillant elle-même sa part, en montrant comment on peut abuser de la faiblesse du gouvernement de Pékin, créait un déplorable précédent. Si ces erremens fâcheux étaient suivis, le partage de la Chine commencerait, et c’est l’une des puissances garantes, en 1895, de son intégrité qui, en 1897, aurait donné l’exemple de la spoliation. A Paris, l’on mesura toute la portée dangereuse de l’acte de l’empereur allemand ; mais l’Angleterre, gagnée, après l’entrevue du prince Henri de Prusse avec les ministres de la reine, par des concessions dans une autre partie du monde, interrompit brusquement ses protestations d’abord très vives ; quant au tsar, il fit, sur l’invitation du gouvernement