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missionnaires chrétiens avaient seuls eu l’audace, souvent mortelle, de s’introduire.

La force des choses devait à la fin rompre ces barrières et faire cesser cet isolement. Les nations européennes, industrielles et commerçantes, que les besoins de leur existence obligent à chercher toujours des marchés nouveaux, devaient fatalement désirer d’ouvrir à leur négoce ce centre incomparable de production et de consommation. Brusquement, avant que les travaux d’approche des Occidentaux fussent achevés, les victoires du Japon, dans la guerre de 1894-1895, posèrent devant le monde la question d’Extrême-Orient et mêlèrent le Céleste Empire à la vie politique et économique universelle. Du coup, les affaires de Chine passèrent au premier plan des préoccupations des gouvernemens.

Pays surpeuplé, riche, producteur et commerçant, la Chine n’est pas et ne peut pas être une terre de colonisation. L’action des grandes puissances ne saurait y ressembler à ce qu’elle a été dans les solitudes de l’Australie ou dans l’Afrique noire. Une exploration comme celle de Stanley, une expédition comme celle du Dahomey ou de Madagascar, ne seraient point ici de mise : tout l’effort des étrangers se résume en une conspiration générale pour obtenir la plus grosse part des bénéfices de la mise en valeur de ce monde nouvellement ouvert à leurs convoitises Ils n’ont ni l’ambition de conquérir ou de peupler la Chine, ni la noble passion de la civiliser ou, — si l’on met à part l’œuvre des missionnaires, — de la christianiser ; ils cherchent avant tout, par l’introduction des procédés de l’Occident, à stimuler sa production naturelle, à augmenter ses besoins pour augmenter sa puissance de consommation, à mobiliser ses ressources économiques pour les lancer dans le torrent toujours grossissant de la circulation universelle de la richesse.

Ni la passivité des populations, ni la mauvaise volonté des mandarins, ni l’hostilité des lettrés, ni l’amas des vieux préjugés, n’empêcheront l’œuvre colossale de s’accomplir : comme la coquille qui a laissé glisser la pointe d’une lame entre ses valves entre-bâillées, la Chine aujourd’hui ne saurait plus se refermer. Malgré son incuriosité de tout ce qui n’est pas elle-même, elle est entraînée dans un tourbillon irrésistible, elle est saisie par cette fièvre d’activité créatrice qui est le caractère même des civilisations modernes. Elle n’est point conquise par des armées : les États qui entendent commercer avec elle, même malgré elle, et