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étrangères, a emprunté à M. le duc de Broglie un mot qui n’est pas moins juste, et qui l’est peut-être même davantage : « Nous vivons dans un temps où il faut tenir autant et plus de compte de l’effet moral d’une grande mesure que de ses résultats matériels et immédiats. » Cela est vrai, d’ailleurs, dans tous les temps. Il suffit d’avoir mesuré la résistance que les choses, avec leur routine, et les hommes, avec leurs préjugés, opposent aux plus généreuses initiatives, et même aux plus résolues, pour reconnaître que les grandes réformes ne se font pas d’un seul coup ; quelquefois même, elles ne se réalisent jamais complètement. Il faut s’y reprendre à plusieurs reprises pour obtenir un progrès, et il reste toujours de l’a peu près dans les œuvres humaines. Mais, loin que ce soit là une raison de ne rien entreprendre, c’en est une au contraire d’entreprendre beaucoup et souvent, puisqu’on n’arrive pas au but d’un premier et unique effort. L’empereur Nicolas suivait une tradition de famille en s’efforçant de perfectionner le droit des gens. Ses ancêtres lui avaient laissé quelque chose à faire ; il laissera aussi quelque chose à faire à ses successeurs.

On sait que la Conférence s’était, dès l’origine, partagée en trois commissions, dont chacune correspondait à une catégorie de ses travaux. La première était chargée de la limitation des armemens ; elle n’a pas tardé à constater que sur ce point sa bonne volonté serait inefficace. Un des délégués allemands, le colonel Schwarzhoff, a été jusqu’à contester que les charges militaires pesassent en réalité sur les nations de l’Europe aussi lourdement qu’on l’avait dit. Ce poids lui a paru léger. La Commission d’abord et la Conférence ensuite ont eu, pour s’abstenir à ce sujet, une raison plus sérieuse, à savoir que la diversité des législations militaires dans les divers pays ne permettait pas d’appliquer une règle uniforme à la limitation de leurs armemens. En conséquence, la Conférence s’est bornée à voter une résolution dont le texte lui a été fournie par le premier délégué français, et qui est ainsi conçue : « La Conférence estime que la limitation des charges militaires qui pèsent actuellement sur le monde est grandement désirable pour l’accroissement du bien-être matériel et moral de l’humanité. « Cette profession de foi, digne de l’abbé de Saint-Pierre, n’engage évidemment à rien. La première commission n’a abouti à un résultat pratique, et encore ! que sur trois points qu’elle a présentés sous la forme de trois Déclarations. La première interdit, pour une durée de cinq ans, de lancer des projectiles et des explosifs du haut des ballons ; la seconde interdit d’employer des projectiles ayant pour but unique de répandre des gaz asphyxians ou délétères ; la troisième