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soit pas dénué d’importance, il n’a certainement pas celle qu’on lui attribue, et il faut que l’Angleterre ne se sente pas exempte de tout reproche envers l’Europe continentale, pour que ses rêves soient à ce point troublés par le cauchemar d’une coalition européenne qui se formerait contre elle. Nous sommes convaincus qu’il y a dans ces craintes une grande exagération ; mais, après tout, ce n’est pas notre rôle de rassurer l’Angleterre contre les inconvéniens de sa politique. Le Standard ferait probablement mieux de ne plus parler de Fachoda. n y a eu là, comme il le dit, une humiliation superflue, mais non pas dans le sens où il le dit. N’insistons pas davantage. Au surplus, nous ne sommes pas le seul pays de l’Europe qui ait eu à souffrir de ce qu’il y a parfois d’inutile rudesse dans le moindre frottement avec l’Angleterre. L’Allemagne l’a appris à ses dépens aux îles Samoa. Quant aux rapports de la Russie avec l’Angleterre en Extrême-Orient, ils sont ce que tout le monde sait. Nous ne demanderons pas à l’Italie si elle a été bien satisfaite, à propos de son affaire de San-Moun, de ses rapports avec son amie et alliée ; elle ne nous le dirait pas ; mais cet incident, où l’attendait une désillusion de plus, ne l’a pas probablement pas consolée de celles qui l’avaient déjà mise à l’épreuve dans la Mer-Rouge. A qui la faute, si toutes les puissances qui se sont trouvées en contact avec l’Angleterre depuis quelque temps en sont restées un peu meurtries ? Elles parlent le moins possible des désagrémens qu’elles ont subies ; mais, on le voit, c’est l’Angleterre qui en parle la première, et il suffit du moindre incident pour que tous ces souvenirs lui viennent tumultueusement à la pensée. Elle pose alors des questions qu’il aurait peut-être mieux valu laisser dormir : mais, après tout, ce n’est pas nous qu’elles embarrassent, et nous n’avons aucune raison de les éviter.

Il y a deux parties distinctes dans les allégations de la presse britannique à propos du voyage de M. Delcassé : l’une se rapporte à nos relations avec la Russie, l’autre à l’état général de l’Europe. La première n’est peut-être pas la plus importante pour l’Angleterre. Elle sait fort bien, quoiqu’elle affecte d’en douter, que l’alliance franco-russe n’a traversé aucune crise depuis quelques mois, et que, loin d’avoir été ébranlée, elle a été plutôt consolidée par l’incident de Fachoda. La Russie nous a assuré alors qu’elle conformerait jusqu’au bout son attitude à la nôtre. Il est permis de sourire des motifs que l’on donne au prétendu mécontentement que la Russie aurait, depuis, éprouvé contre nous. Quoi ! C’est parce que nous aurions échangé quelques politesses avec l’Allemagne qu’on nous en voudrait à Saint-Pétersbourg ?