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fertile qu’elle soit, ait élaboré une aussi vaste conception, et que Guillaume a donné pour mission à sa politique d’atteler ses rivaux du continent à une bonne œuvre, qui consisterait à ramener et à maintenir dans le rang les communautés anglo-saxonnes répandues dans l’univers. Cette idée, reprend à son tour le Standard, cette idée d’une alliance des trois grandes puissances continentales a été mise plus d’une fois en avant pendant ces deux dernières années, et elle a pris plus de vitalité encore depuis que les États-Unis sont entrés dans le le champ de la politique internationale. Elle a été exprimée dans un remarquable manifeste du comte Goluchowski, qui a prêché une sorte de croisade contre les puissances anglo-saxonnes dont la croissance merveilleuse et l’expansion ininterrompue paraissent à l’homme d’État autrichien un sujet d’alarme pour l’Europe. Quelque chimérique qu’elle soit, l’alliance projetée des puissances militaires contre les puissances maritimes semble s’imposer depuis quelque temps à la pensée européenne. Des écrivains autorisés, en relation avec les chancelleries et les cabinets, continuent à préconiser une action commune en vue d’abaisser ce qu’ils appellent l’arrogance de ces communautés anglo-saxonnes, qui établissent graduellement et sûrement leur prépondérance sur les trois quarts du monde habitable. Et qui sait si, dans les conciliabules de la Haye, il n’a pas été question de tout cela ? Ce n’est peut-être pas un simple accident qui a amené la rencontre des diplomates franco-russes aussitôt après la clôture de la conférence. Si le but principal de celle-ci était de maintenir la paix universelle, son objet subsidiaire était d’atténuer les avantages obtenus par les puissances maritimes. Ce but, on continue de le poursuivre, mais inutilement, et nous ne voyons pas comment il pourrait être atteint, au moyen de quelques conversations, par des gouvernemens tout aussi jaloux les uns des autres qu’ils peuvent l’être de l’Angleterre ou des États-Unis. Le projet est trop nébuleux pour être pris en considération, soit à Berlin, soit à Saint-Pétersbourg. Et, au surplus, c’est à peine si l’encre de la convention anglo-allemande a eu le temps de sécher : comment croire que l’empereur Guillaume renoncerait aux profits que cet instrument lui assure, pour permettre à la France de se relever de l’humiliation superflue qu’elle a tenu à se faire infliger l’automne dernier.

Tel est, en ce moment, le ton de la presse britannique à notre égard. Notez que nous ne lui avons rien fait. Qui aurait pu croire que le voyage de M. Delcassé à Saint-Pétersbourg soulèverait de telles passions dans les âmes anglaises ? Même en admettant que ce voyage ne