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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 août.


M. Delcassé, ministre des Affaires étrangères, vient de faire à Saint-Pétersbourg un voyage rapide, qui a été commenté par toute la presse européenne. C’est en France qu’on en a parlé le moins, et en Angleterre qu’on en a parlé le plus. Nous nous sommes contentés, quant à nous, de l’explication qu’on nous en a donnée, à savoir que, les ministres des Affaires étrangères de Russie étant venus à maintes reprises à Paris, il était naturel et convenable que le nôtre allât leur rendre visite à Saint-Pétersbourg. Et, en effet, pourquoi pas ? Pourquoi nos ministres resteraient-ils indéfiniment enfermés dans les frontières de la France ? Tous les autres sortent des leurs, circulent, voyagent, les uns pour leur santé, les autres pour leur agrément, et ils profitent des rencontres qu’ils font en route pour échanger quelques idées dans l’intérêt de leur pays. Seuls, les ministres de la République se sont crus obligés, depuis 1871, à la résidence réelle et permanente en terre française, et n’ont pris l’air du dehors que lorsqu’ils n’avaient plus la responsabilité du pouvoir. Cette réserve avait quelque chose d’excessif. Elle pouvait s’expliquer au lendemain de nos malheurs, dans la première période d’un deuil qui dure toujours, mais qui, en durant, a changé de caractère. La Russie, après avoir traversé, elle aussi, une épreuve pénible, disait autrefois qu’elle se recueillait. Nous ne rechercherons pas si ce mot historique, au moment où il a été prononcé, n’avait pas pour objet principal de justifier une attitude commode, ni même s’il était conforme à la politique réelle d’un grand pays qui ne renonçait provisoirement à agir d’un côté que parce qu’il était occupé d’un autre. Les périodes de pur recueillement, lorsqu’on est la Russie ou la France, ne peuvent pas durer bien longtemps. Nous n’avons pas tardé nous-mêmes à en sortir pour reprendre notre part d’action dans la vie générale du monde ; mais nos ministres des Affaires étrangères, comme s’ils obéissaient à une règle de convenance supérieure, ont continué de rester chez eux, recevant volontiers des visites, et ne les rendant pas.