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souffle généreux de liberté et de progrès ; ces hommes songent surtout au lendemain, à l’avenir ; ils ne se retournent pas pour regarder en arrière ; ils fixent les yeux en avant. Biron, au milieu de ces honnêtes gens, est un déclassé, un dépaysé. Son libéralisme est fait de rancunes et de dépits ; il est le contraire de ses collègues qui aspirent à créer et à édifier ; lui songe surtout à démolir, à détruire.

Lauzun, pendant les deux ans que vécut la Constituante, y siégea comme député du Quercy et vota toujours avec les membres du parti le plus avancé. Il avait été mêlé de la façon la plus compromettante aux événemens des 5 et 6 octobre ; il se réjouit, plus tard, d’une façon publique et indécente, de l’arrestation de Varennes ; en un mot, il ne laissa passer aucune occasion de témoigner son hostilité au Roi, à la Reine, à la Cour. Néanmoins, en dépit de ces flagorneries intéressées, toutes de calcul, il était impuissant à trouver sa voie.

À la fin de 1790, il s’était fait accorder le gouvernement de la Corse qui lui paraissait suffisamment éloignée pour dépister ses créanciers et où il pensait peut-être trouver le moyen de refaire sa fortune ; mais diverses circonstances l’empêchèrent de rejoindre son poste, et au mois d’octobre 1791, il fut employé provisoirement dans la 2e division territoriale à Valenciennes. Quand, dans les derniers mois de cette même année, les Constitutionnels, les Girondins et une partie des Jacobins se furent mis d’accord sur la convenance de déclarer la guerre à l’Empire, Biron se montra partisan des résolutions belliqueuses. Il se trouvait tout naturellement placé dans l’armée du Nord qu’avait organisée le décret du 14 décembre : il y demeura comme maréchal de camp attaché à l’état-major du général en chef Rochambeau. C’était d’ailleurs son ami Narbonne qui venait de prendre le portefeuille de la Guerre ; il voulut profiter de ces relations pour obtenir secrètement voix au chapitre, et faire prévaloir son avis dans le Conseil. Ce fut ainsi qu’il élabora, en compagnie de Talleyrand, un traité d’alliance avec l’Angleterre et un projet de neutralité pour la Prusse ; c’est de la même façon qu’il fit envoyer à Berlin M. de Ségur et le colonel adjudant-général Jarry avec la mission d’acheter le roi Frédéric-Guillaume II et ses entours. Les derniers mois de 1791 et les premiers de 1792 se passèrent en pourparlers et négociations de ce genre. Toutefois aucune de ces intrigues ne réussit et Lauzun commençait à trouver son ami Narbonne trop