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mal connus du début de la Révolution et notamment l’histoire véridique du plan de campagne dont nous parlions un peu plus haut. C’est en prenant ces lettres pour guide, en les corroborant, en les complétant par d’autres sources inédites et authentiques empruntées aux Archives historiques du ministère de la Guerre que nous allons entreprendre notre démonstration. Toutefois, Lauzun est tellement oublié, à ce point inconnu de la génération actuelle, qu’on ne trouvera sans doute pas mauvais que nous commencions cette étude en esquissant à grands traits sa physionomie.


I

Armand-Louis de Gontaut, d’abord comte de Biron, puis duc de Lauzun, finalement duc de Biron, était né à Paris le jeudi 13 avril 1747.

Confié dès ses plus jeunes années à un laquais qu’en raison de ses fonctions nouvelles on « avait élevé au rang de valet de chambre, » l’enfant fut tout d’abord livré à lui-même, s’habitua à voir tous ses caprices satisfaits, ne connut ni la contrainte qui assouplit et brise le caractère, ni les obstacles qui l’affermissent et le trempent. Bientôt, très tôt, la faible résistance opposée par son pseudo-précepteur à ses tentatives d’indépendance fut vaincue. A dix-huit ans, Lauzun, doué de tous les attraits extérieurs, doté d’un esprit vif, d’à-propos, de cette assurance que donnent le nom, la fortune, la certitude d’être écouté et d’avoir raison quoi qu’on dise, devint la coqueluche de toutes les femmes et le roi de la mode.

Dès cette époque, on le vit emprunter à son siècle, à ses contemporains, leurs théories les plus perverses, laissant avec soin de côté celles qu’il aurait eu avantage à s’assimiler. Il s’était lié intimement avec le duc d’Orléans, le futur Philippe-Égalité, avec le prince de Guéménée, avec Laclos, c’est-à-dire avec trois des personnages peut-être les moins recommandables, les plus tarés de leur temps. En politique, il prit des leçons de Sainte-Foy, de Favier et de Martange, leur élève ; en art militaire, il servit, il est vrai, sous des chefs éminens, comme Maillebois et Rochambeau, il vécut à côté de Guibert, mais, tandis qu’il avait témoigné de goûts particuliers et d’aptitudes spéciales pour les méthodes souvent inavouables d’agens peu scrupuleux comme Sainte-Foy,