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les entraver. Comment le retrouver ce chameau perdu dans cette plaine sans limites, sur ce sol dur où il n’a pas laissé de traces ? Il est vrai que les Sahariens ont un flair admirable et, pendant que nous continuons notre route, un des maghzenis, Abou-Bekr, prend le mehari du guide, qui à lui seul saurait en cas de besoin retrouver la route, et part à la recherche du fugitif. Bientôt il a disparu dans les lointains. Cela serre le cœur de voir un homme s’en aller ainsi, seul dans l’immensité.

Le pays, plus varié maintenant, fait pressentir le prochain effondrement du plateau. On rencontre quelques cordons de dunes, des âreg suivant l’expression arabe. On les aperçoit à d’infinies distances, jaunes sur la terre grise. Pendant des heures elles ferment l’horizon ; on les voit peu à peu grandir, approcher, et bientôt on est au milieu du chaos des sables, des fines poussières où l’on enfonce et qui croulent sous les pas.

C’est au pied de ces cordons que nous déjeunons ; d’un sommet nous pourrons guetter Abou-Bekr et tirer au besoin pour le guider des coups de fusil. Mais le voici qui revient, ramenant le chameau au trot devant lui.

Et tout l’après-midi, nous nous traînons péniblement sur l’interminable plateau, parmi les galets noirs qui reluisent, à bout de forces, épuisés par la monotonie des choses.


17 Octobre.

En pleine nuit noire, je suis réveillé par les cris de mes hommes et les hurlemens des chameaux qu’on charge. Pas besoin, cette fois, d’aller secouer les dormeurs, bêtes et gens sont debout avant moi, impatiens d’atteindre El-Goléa, où nous arriverons ce matin après quelques heures de marche hâtive dans les dernières solitudes de pierres. Les hommes y trouveront les longs repos, si chers aux âmes arabes, les sommeils sans craintes et les indolentes flâneries sous les palmiers, où s’échangent les nouvelles et où se racontent les merveilleuses histoires du désert. Et les chameaux, les pauvres chameaux martyrs, qui n’ont pas bu depuis six jours, déjà ils flairent l’eau, l’eau courante, limpide et presque fraîche, la passion de ce Sahara, éternellement brûlé de soif !

— Abdallah I quand arriverons-nous ?

Mais ils ont toujours, ces hommes des vagues solitudes, l’imprécise et fuyante notion des heures, pour eux si semblables et si indifférentes. Abdallah consulte Bou-Djema, s’explique bruyamment,