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fabriquer un cheval de cœur, pas plus qu’on ne saurait fabriquer un homme de talent. Il y a beau temps que Platon, dans sa République, recommandait la sélection humaine en éliminant les mauvais produits ; je ne sache pas qu’on l’ait essayé nulle part. Elle serait d’ailleurs plus difficile pour les gens que pour les bêtes : le reproducteur que nous sommes ne mène pas la vie saine de l’étalon ; il excède volontiers ses forces, pour le plaisir ou pour le travail. Puis la poulinière, que nul mâle ne peut couvrir sans la permission du maître, n’est susceptible d’aucune infidélité. Mais, pour les bêtes comme pour les gens, ce qu’on nomme « lois » de l’hérédité est fait d’autant d’exceptions que de règles : chaque être résulte d’une combinaison nouvelle de mille êtres défunts, d’un amalgame d’élémens connus, diversifiés à l’infini ; ainsi que les airs, toujours nouveaux, faits avec des notes toujours pareilles. Parmi les hommes, la profession, l’époque, le milieu social font pousser en vertus des vices atténués — barbarie devenue courage, — ou se gâter en vices des qualités tournées à l’aigre — prudence devenue faiblesse. — L’orgueil crée l’ambition, qui est utile ; l’ambition engendre la volonté, qui est excellente ; et la volonté dégénère à la fin en stupide entêtement. Ce qui allait être simplement l’audace sera, avec un grain de raison en plus ou en moins, ou l’héroïsme ou la folie. Le même instinct sexuel, suivant les doses d’intelligence et de sensibilité auxquelles il sera associé, donnera naissance, tantôt aux transports de l’amour, tantôt à l’abrutissement et tantôt à quelque état moyen entre ces deux extrêmes.

De cette cuisine, où se confectionnent les individus, le secret nous échappe, pour les animaux non moins que pour nous. Nous ne connaissons pas le microbe de cette fermentation des races, par laquelle d’un degré à l’autre, d’une génération à la suivante, les facultés s’améliorent ou se corrompent, évoluant de l’effort à l’usage, de l’usage à l’abus, de l’abus à l’usure ; sans qu’il y ait trace d’ailleurs ni d’une règle, ni d’un processus analogue à celui du règne végétal, où, du bouton, sort la fleur, puis vient le fruit et enfin la pourriture. Notre âme est comme une maison où des meubles hétéroclites ont été déposés par une suite d’héritages, raccommodés et recombinés suivant les modes et les goûts des habitans qui nous ont précédés.

Pour les chevaux de courses, la collaboration de tant de sangs vérifiés ne devrait pas aboutir à des filiations contradictoires ;