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Livre des Femmes. Si on la perd de vue parfois, dans ses premiers portraits, on la rencontre ainsi aux dernières pages de son volume, persuasive et efficace autant que pouvait la souhaiter l’apôtre éloquent du retour à l’instinct.

Aussi intéressant que le Livre des Femmes, plus mûr peut-être et plus spécieux encore nous apparaît son recueil d’études littéraires, celui qu’elle a intitulé Nous autres Femmes, et nos Poètes[1]. C’est là qu’elle a appliqué avec le plus de suite, avec le

plus de bonheur aussi ses audacieuses théories sentimentales. Elle a cherché, dans les œuvres d’un certain nombre d’écrivains, qui, presque tous, possèdent une renommée européenne, la conception que leurs livres trahissent de la femme, et de ses rapports nécessaires avec l’homme. Elle n’a jamais exercé plus hardiment la divination psychologique, qu’elle se vante, non sans raison, de posséder, ni épié plus avidement les pulsations du cœur et les réactions des nerfs, chez ceux qui ont la faiblesse de livrer au public le meilleur d’eux-mêmes, les échos de leur vie intérieure.

Ces huit études ne sont ni également bien venues, ni surtout également intéressantes pour un lecteur français. Gottfried Keller et Paul Heyse sont peu connus parmi nous. Les pages consacrées à Ibsen ne sont pas parmi les plus séduisantes, car, cela est singulier à dire, mais Mme Marholm connaît trop à fond celui qu’elle appelle ironiquement le « poète des impasses morales » pour en parler clairement à ceux qui n’ont pas fait une étude particulière de ses drames. Elle suppose son lecteur trop pénétré de la pensée du maître norvégien, et, à la suivre d’allusions en allusions, on risque de perdre le fil de ses argumens et le contact de sa pensée. Son chapitre sur Bjoernson, au contraire, est un des plus puissans réquisitoires, un des plus spirituels pamphlets qui soient sortis de sa plume, car l’auteur du Gant incarne à ses yeux le mouvement féministe du Nord, qu’elle s’est donné pour mission de combattre. Elle a des pages brillantes sur les ennemis personnels de la femme, les misogynes Tolstoï et Strindberg, dont elle considère les œuvres comme la conséquence du féminisme et son châtiment, ce qui ne l’empêche pas de railler amèrement leur doctrine ascétique et malsaine, au nom du bon sens et de l’instinct offensés. Enfin un lecteur français abordera avec

  1. On sait que le mot allemand Dichter a un sens plus large que le mot français poète. Il s’applique en général à tout auteur d’une œuvre d’imagination, à tout créateur de types littéraires.