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« Rousseau fut l’homme qui introduisit dans la littérature la position agenouillée devant la femme, la foi en la supériorité de la femme, en sa virilité, ou du moins en ses qualités viriles. Il y avait à cela des raisons psychologiques, et même physiologiques, comme nous l’apprennent les Confessions... Rousseau, l’artisan, le plébéien par essence, donna ses entrées dans la littérature à une nouvelle classe sociale, à celle qui s’épanouit au moment de la Révolution, et il porta dans les lettres les sentimens du plébéien vis-à-vis de la grande dame. Cet homme fut un de ces phénomènes assez fréquens de perversion native, qui, plus d’une fois, ont exercé une influence secrète, difficile à suivre, sur la direction de la pensée et du sentiment humains. Vis-à-vis de la femme, il ne pouvait sentir en homme. Il ne sentait vivement qu’à l’état de châtié, d’humilié, d’esclave. Il lui fallait élever la femme au-dessus de lui, unir aux sensations érotiques les impressions de l’autorité maternelle. C’est ainsi que la femme « supérieure » fit son entrée dans le roman. Ce fut lui qui agit sur la littérature allemande à son éveil... »

Nous nous arrêtons, car notre intention n’est pas de multiplier les exemples de la hardiesse de Mme Marholm. Bien au contraire, nous chercherons à en atténuer les témoignages vis-à-vis de nos lecteurs, auxquels nous avons voulu signaler pourtant le trait dominant de sa manière. Il nous faut rechercher plutôt quelles sont ses convictions et ses principes.

Nous avons dit que le mot de réaction nous paraissait résumer parfaitement son œuvre. En effet, elle va nous apparaître à la fois réactionnaire au point de vue social, car elle regrette l’existence et la tournure d’esprit des femmes d’autrefois ; — réactionnaire dans les questions religieuses, puisque, on pays protestant, protestante elle-même, elle ne dissimule pas sa partialité vis-à-vis du catholicisme et son adhésion à la conception catholique de la femme ; — réactionnaire enfin dans ses préférences intellectuelles et morales pour le présent, puisqu’elle méprise la culture raffinée, proscrit la lecture et s’efforce, sur toutes choses, de rendre ses sœurs dociles à la voix de l’instinct, qui lui paraît devoir être le conseiller naturel de son sexe. Marquons donc, dans ces trois voies différentes, les étapes de sa pensée.

Mme Marholm porte envie à l’existence de nos grand’mères. L’aspect seul de leurs portraits aux murs de nos musées éveille en son cœur des sentimens d’admiration et de regret non dissimules.