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A Madrid, le changement de régime s’était, en somme, accompli sans désordre. Il n’en était pas de même dans les provinces. Parmi les dépêches que le gouvernement à peine installé recevait, il s’en trouvait de fort inquiétantes. Dans nombre de villes et même de petites localités, à la première nouvelle des événemens, des juntes républicaines avaient d’elles-mêmes pris la place des municipalités régulières. On signalait çà et là des violences et du sang versé, comme à Montilla où il y eut de sauvages massacres. Ailleurs, des municipalités socialistes se mettaient en devoir de procéder au partage des propriétés. L’un des premiers soins de ces autorités révolutionnaires était de distribuer des armes aux citoyens. Même en tenant compte de l’effervescence naturelle à un peuple qui entre en république, on devait reconnaître qu’il y avait là des symptômes d’un état moral effrayant. L’incendie couvait ; c’était besogne de fous que d’y jeter des alimens ! Ce fut pourtant ce que le nouveau cabinet s’empressa de faire. Avec un incroyable aveuglement, il se hâta de prendre les mesures les plus propres à faire éclater partout l’anarchie. Dès le troisième jour de son existence, il présentait à l’assemblée un projet d’amnistie, à l’intention et au bénéfice des républicains. Durant le règne débonnaire d’Amédée, spécialement sous le dernier ministère Zorrilla, la démagogie s’était fort agitée ; il y avait eu des soulèvemens ; par suite, un certain nombre de républicains avancés étaient en prison. Le projet tendait à leur ouvrir les portes. Il n’était pas juste, disait l’exposé des motifs, « de laisser subir la rigueur de la loi écrite à ceux qui, invoquant le nom de la République, avec un courage sans doute impatient, mais noble et généreux, avaient lutté pour son triomphe... » En conséquence, on réhabilitait les fauteurs de désordre ; on remettait en liberté les professionnels de l’émeute ; en un mot, on reconstituait les cadres de l’armée insurrectionnelle.

À cette armée il fallait des fusils. Le gouvernement y pourvut. Le même jour où il présentait le projet d’amnistie, il promulguait un décret en tête duquel on lisait : « Considérant que, pour la défense des institutions et le maintien de l’ordre public, jamais il n’a été plus nécessaire qu’aujourd’hui d’armer le peuple. » Ce beau décret, œuvre de M. Pi y Margall, réorganisait « les volontaires de la liberté, » — quelque chose comme les fédérés de notre Commune, — encourageait la formation de ces utiles milices sur tous les points du territoire, et promettait de