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et l’apôtre convaincu, intransigeant, de cet évangile. On a dit qu’il avait pris cela dans Proudhon, dont il a été le traducteur et le révélateur en Espagne. Par suite, quelques personnes n’ont vu là qu’un produit exotique, comme mainte nouveauté de France transplantée en un jour sur le sol castillan. Il est certain que l’idée fédérale qui allait faire tant de bruit chez nos voisins, et tant de mal, car elle les a mis à deux doigts de la ruine complète, l’idée fédérale y a sa date d’apparition marquée et récente. Ce fut la fraction avancée du parti démocratique qui, s’étant déclarée, au lendemain de la révolution de septembre, pour la forme républicaine, adopta le fédéralisme du même coup, et inscrivit sur sa bannière ces deux devises dès lors inséparables. Le fait est que les novateurs espagnols, et particulièrement Castelar, étaient séduits par l’exemple des deux Républiques dont l’image s’offrait à leurs yeux : les Etats-Unis et la Suisse, où ils voyaient la démocratie s’épanouir dans la fédération. Mais bien avant ils avaient commencé de prêcher le fédéralisme. Dès 1854, M. Pi y Margall l’avait présenté au public espagnol. Et d’autre part, dans les masses populaires, les théories séparatistes rencontraient des aspirations, disons davantage, des traditions conformes. M. Pi y Margall avait semé sur un terrain propice, et c’est pourquoi l’utopie fédérale y a grandi si promptement. Elle réveillait des souvenirs fort lointains, mais vivaces. Et en réalité, comme il arrive plus souvent qu’on ne pense, en croyant marcher vers l’avenir, c’est au passé qu’on retournait.

Illusion des mots ! Vanité des systèmes ! Les voilà bien, ces trompeuses entités, irréels simulacres, impalpables idoles de notre déraison, que le grand Bacon, essayant d’établir la classification des erreurs humaines, dénommait, en sa latinité si pittoresque, idola fori, idola theatri, opinions fausses de la place publique, formules décevantes de l’école ! Castelar s’était laissé séduire à ce fantôme du fédéralisme ; il y avait cru, comme un écolier ; et il avait pris la doctrine à son compte, sans plus d’examen. Quelques mois avant l’abdication d’Amédée, alors qu’il voyait poindre à l’horizon prochain la République, il exaltait la mystérieuse et magique formule, dans de belles phrases sentimentales, et, selon sa coutume, sans rien tirer au clair, sans se demander où l’on allait, ce qu’il en adviendrait dans la réalité[1]. Son état d’âme

  1. Discours prononcé dans la réunion républicaine de Séville, avril 1872. Discursos politicos dentro y fuera del Parlamento, — Madrid, 1873.