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d’État. Touché au vif, Castelar bondit et, aussitôt, dans une improvisation foudroyante, il confondit, il écrasa l’infortuné chanoine ! Reprenant une à une les raisons de son adversaire, il les réfutait, les anéantissait avec une admirable dialectique, puisant dans l’histoire, selon sa coutume et avec son art merveilleux, les argumens, les exemples, les leçons saisissantes, et aux durs sophismes du prêtre opposant la divine charité de l’Evangile. Ce fut une scène inoubliable. Un Français, habitué à nos débats parlementaires et peu naïf, me disait avoir vu, ce jour-là, quelque chose d’unique : rien ne pouvait rendre l’effet de cette parole magnifique et vengeresse qui passait sur les têtes comme un ouragan de feu. Lorsque Castelar eut fini, rassemblée entière était debout, acclamant l’orateur. Aujourd’hui même, après trente années, la rectificacion à Manterola est célèbre, et la péroraison en est citée comme un des morceaux classiques de l’éloquence espagnole. Voici cette page ou plutôt, hélas ! le peu qui en reste, lorsqu’elle est détachée du reste de la harangue qui la prépare, et qu’elle a perdu, par la traduction, l’incomparable orchestration de la langue castillane : «...M. Manterola croit-il donc au dogme terrible qui rend les fils responsables des fautes de leurs pères ? croit-il donc que les juifs d’aujourd’hui sont les mêmes qui ont mis à mort le Christ ? Je suis, moi, plus chrétien ; j’ai foi dans la justice d’en haut et dans la miséricorde divine. Grand est le Dieu du Sinaï ; le tonnerre le précède, la foudre l’accompagne, la lumière l’environne, la terre tremble et les monts chancellent. Mais il est un Dieu plus grand, oui, plus grand encore que ne l’est dans toute sa majesté ce Dieu du Sinaï ; c’est l’humble Dieu du calvaire, cloué sur sa croix, frappé, meurtri, couronné d’épines, les lèvres imbibées de fiel, et qui cependant s’écrie : « Mon père ! pardonnez-leur ; pardonnez aux bourreaux qui me torturent, car ils ne savent ce qu’ils font. » Grande est la religion de la puissance ; plus grande est la religion de l’amour ; grande est la religion de la justice implacable : plus grande est la religion du pardon miséricordieux ; et c’est pourquoi, au nom de cette religion, au nom de l’Evangile, je viens vous demander d’inscrire sur le fronton de la Constitution que vous allez faire, la liberté religieuse, c’est-à-dire la liberté, la fraternité, l’égalité entre tous les hommes. »

Cette éloquence au vol sublime ne planait pas toujours si haut. Souvent aussi elle descendait du ciel et touchait terre. « L’éloquence continue ennuie, » dit Pascal, et, en alléguant