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deux collèges. Le 12 février 1869, il entrait aux Cortès ; il abordait, à trente-cinq ans, le Parlement et la tribune.


II

Il y apportait des trésors d’illusions et une ignorance absolue des affaires. L’éducation de son esprit avait été purement théorique. Il s’était habitué à regarder le monde à travers le voile de ses rêves. Et qu’était-ce que la politique où il s’exerçait depuis quinze ans, sinon une politique de poète agitateur d’idées ? Sur toutes les questions que soulève le gouvernement d’un Etat, il était prêt à discourir : aussitôt jaillissait de sa facile mémoire le flot surabondant des généralités. D’ailleurs, nulle science pratique : les applications positives et les détails précis lui échappaient. Mais il avait au cœur l’étincelle sacrée ; il avait la foi, une foi d’enfant ou de prophète, dans les nouveautés dont il s’était constitué l’apôtre. Enfin il avait ce don du ciel, l’éloquence ! Don Emilio arrivait aux Cortès précédé de son immense renommée oratoire.

Ces libres Cortès de la révolution, au fond, ne valaient guère plus que leurs devancières. Jamais peut-être le contraste n’éclata davantage entre la grandeur des problèmes et la petitesse des hommes chargés de les résoudre. Il s’agissait de faire une Espagne nouvelle. Il s’agissait d’organiser en hâte des libertés à peu près inconnues. Une de ces libertés, précieuse entre toutes, était l’indépendance à l’égard du pouvoir religieux. La veille encore, l’Eglise régnait sur l’Espagne. Elle dominait dans les conseils du gouvernement et à la Cour ; elle exerçait une sorte de censure des idées ; Eglise d’État, elle jouissait d’un privilège souverain ; la loi du royaume réservait aux catholiques seuls le droit d’obtenir les emplois publics. Tout cela sans doute venait de disparaître avec la monarchie. Mais on ne refait pas l’âme d’un peuple en un jour, et, malgré tout, l’Eglise retenait beaucoup de sa puissance. La présence même de plusieurs prélats sur les bancs des nouvelles Cortès l’indiquait de reste. L’un d’eux, le chanoine Manterola, eut le malencontreux courage de porter à la tribune le programme des revendications ecclésiastiques. Dans un discours tout pénétré de la doctrine ultramontaine, il osa soutenir la prédominance de l’Eglise sur le pouvoir civil, l’extermination des hérésies par le bras séculier, l’intolérance érigée en maxime