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suivant notre vieille formule révolutionnaire, où ils n’étaient rien, où ils devraient être tout, et où ils voulaient être quelque chose. Il fallait quatorze ans à un uitlander pour acquérir des droits de vote au Transvaal ! Ils sont eniron 200 000 contre 30 000 Boers, ils n’avaient que deux représentans au Volksraad ! Ces proportions ne pouvaient plus être admises. Dès que la question politique a été posée, elle a relégué les autres au second plan. Les uitlanders ont compris que, le jour où ils auraient des droits politiques, leur supériorité numérique ne tarderait pas à leur donner tout le reste. Ce raisonnement a pris tout d’un coup dans leur esprit une précision et une force irrésistibles ; on n’a pas tardé à s’en apercevoir à l’entrevue de Bloemfontein. Quant à M. Chamberlain et à M. Cecil Rhodes, que voulaient-ils ? S’emparer du Transvaal, et sans doute ils sauraient préféré le faire par les armes, procédé plus expéditif et plus complet ; mais, pour le cas où lisseraient empêchés de l’employer, ils se préoccupaient d’arriver au but par une voie un peu détournée, et de substituer à la conquête militaire la conquête électorale et politique.

Nous avons parlé de l’entrevue de Bloemfontein : elle a eu lieu le 31 mai, et a été provoquée par M. Steijn, président de l’État libre d’Orange. L’État libre d’Orange, plus petit que le Transvaal et contigu comme lui aux colonies anglaises, habité aussi par une population d’origine en majorité hollandaise, s’intéresse d’autant plus à ce qui se passe chez son voisin qu’il peut dire sans crainte de se tromper beaucoup : tua res agitur dum proximus ardet. Bien que ses relations actuelles soient bonnes avec le gouvernement du Cap, le jour où l’indépendance transvaalienne serait détruite, la sienne serait bien malade, et un îlot aussi minime aurait de la peine à rester intact au milieu du débordement de la puissance britannique. M. Steijn a donc pris l’initiative de proposera M. Krüger et à sir Alfred Milner de se réunir dans sa capitale et d’essayer d’arriver entre eux à un accord direct sur tous les points en litige. M. Krüger a accepté la proposition. Sir Alfred Milner a pris les ordres de son gouvernement, qui l’a autorisé à s’y rendre également, nous savons avec quelles instructions, car M. Chamberlain les a publiées depuis. Il ne devait pas s’attarder aux questions accessoires, telles que la suppression du monopole de la dynamite : la franchise électorale devait passer avant tout, et, s’il n’obtenait pas satisfaction à ce sujet, on avait soin de lui dire qu’il était tout à fait inutile d’insister sur le reste. Sir Alfred Milner a demandé que le droit de vote fût acquis au bout de cinq ans de résidence au Transvaal, avec effet rétroactif, et que la naturalisation, à quelque moment qu’elle fût accor-